Accident de la route et perte de chance de participer aux jeux olympiques (Cass. Civ. 2ème 25 mai 2022)

Indemnisation victime accident de la route perte de chance préjudice d'agrément préjudice exceptionnel

Par un arrêt rendu le 25 mai 2022 et publié au Bulletin (lien ici), la Cour de cassation apporte des précisions sur la notion d’indemnisation d’une perte de chance d’une victime d’un accident de la route, en l’espèce, un jeune athlète qui ambitionnait de participer aux Jeux olympiques.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Un jeune sportif professionnel, espoir de l’athlétisme français, a été victime d’un grave accident de la route alors qu’il traversait sur un passage piéton.

Cet accident corporel est survenu alors que la victime était en déplacement au Maroc et le conducteur de la motocyclette ayant l’ayant renversée n’a pas été identifié.

Le jeune sportif a subi de lourds dommages corporels qui l’ont amené à mettre un terme à sa carrière d’athlète professionnel.

Il a donc sollicité l’indemnisation de ses préjudices.

Il demandait notamment l’indemnisation d’un préjudice permanent exceptionnel consistant en la renonciation à un « métier passion » et d’une perte de chance d’être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques.

2) Quel est le parcours procédural de cette affaire ?

Dans la mesure où l’accident de la circulation est survenu au Maroc et que le conducteur de la motocyclette ayant renversé la victime n’a pas été identifié, c’est la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) qui s’est retrouvée compétente pour indemniser la victime.

Voir notre page « Qu’est-ce que la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) » ?

La CIVI puis la Cour d’appel ont toutes deux refusé d’indemniser le préjudice exceptionnel du jeune athlète et sa perte de chance d’être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques.

Les juridictions du fond ont considéré que si l’athlète ne pouvait pas reprendre ses anciennes activités sportives, ce préjudice était réparé par les sommes allouées au titre des pertes de gains professionnels et de l’incidence professionnelle.

Elles ont également considéré que la réparation du préjudice psychologique et psychiatrique de l’abandon forcé d’une carrière était assurée au travers de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

La CIVI et la Cour d’appel ont enfin retenu que si la victime avait participé à des championnats juniors et à des courses de sélection catégorie espoirs, elle n’était qu’au début de sa carrière, que son record sur la course de 1.500 mètres se situait à 4 secondes de celui permettant de participer aux Jeux olympiques et qu’elle ne démontrait pas l’existence d’une chance sérieuse de participer à cette compétition mythique.

Les Juges du fond ont donc écarté l’existence d’une perte de chance de participer aux Jeux olympiques et le jeune athlète a formé un pourvoi en cassation.

3) Quelle a été la position de la Cour de cassation ?

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a estimé que « toute perte de chance ouvre droit à réparation », de sorte que la Cour d’appel n’avait pas à exiger que la victime démontre l’existence de la perte de chance sérieuse de participer aux Jeux olympiques en se contentant de constater l’absence de probabilité de réussir les sélections.

4) Que recouvre la notion de perte de chance ?

Le préjudice lié à une perte de chance est réparable dès lors qu’il existe une probabilité, dont a été privée la victime, qu’un évènement ait pu lui profiter.

Il s’agit de la disparition d’une éventualité favorable du fait de la survenance, par exemple, d’un accident de la route ou de tout autre fait dommageable.

La Cour de cassation a pu définir la perte de chance par la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable (Cass. Civ. 1ère, 21 novembre 2006, n° 05-15.674).

La Haute juridiction a régulièrement posé comme principe que la chance perdue devait reposer sur l’espoir légitime et sérieux que l’évènement favorable se soit produit si les circonstances n’en avaient pas empêché la survenance.

Il a pendant longtemps été considéré que la réalisation de cet évènement favorable ne devait pas seulement être hypothétique mais réelle et sérieuse.

Revenant sur ses exigences antérieures la Cour de cassation avait déjà considéré qu’une perte certaine mais faible pouvait être indemnisée (Cass. Civ. 1ère, 16 janvier 2013, n° 12-14.439) ou encore qu’une chance minime pouvait l’être (Cass. Civ. 1ère, 12 octobre 2016, n° 15-23.230).

La Cour de cassation, assouplissant la notion de perte de chance, considère dans l’arrêt commenté que toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans qu’il soit nécessaire, pour la victime, de démontrer l’existence d’une perte de chance sérieuse.

Voir notre actualité sur la question, à titre d’illustration : La perte de chance de connaître les circonstances d’un accident doit être indemnisée (Cass. Civ. 1ère, 24 juin 2020, n° 19-17.071).

5) De quelle manière sera indemnisée la perte de chance ?

Si, sur le principe, toute perte de chance doit être indemnisée, il est évident que dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, les Juges du fond indemniseront une victime en considération de la probabilité de réalisation de l’évènement favorable à défaut de survenance de l’évènement traumatique (accident de la circulation, agression, accident de la vie, erreur médicale, accident de sport, etc.).

Plus la perte de chance sera sérieuse, plus l’indemnisation de la victime sera importante.

Le préjudice d’agrément vise à réparer le préjudice lié à l’impossibilité pour une victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs, la simple limitation de la pratique antérieure étant elle aussi indemnisée.

Voir nos précédentes actualités sur la question : Le préjudice d’agrément est caractérisé en cas de limitation de la pratique antérieure d’une activité sportive ou de loisirs (Cass. Civ. 2ème, 22 octobre 2020, n° 19-15.951, La pratique sportive « amicale » ouvre droit à indemnisation au titre d’un préjudice d’agrément (Cass. Civ. 2ème, 13 février 2020, n° 19-10.572) et La cour de cassation élargit le périmètre d’indemnisation du préjudice d’agrément (Cass. Civ. 2ème , n° 17-14.499).

En l’espèce, l’impossibilité pour ce jeune athlète de participer aux Jeux olympiques allait au-delà d’un simple préjudice d’agrément.

Plus précisément, la perte de chance, pour lui, de participer aux Jeux olympiques pourrait caractériser un préjudice permanent exceptionnel, défini comme un préjudice atypique ou spécifique soit en raison de la nature des victimes, soit en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage.

 

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