Aux termes d’un arrêt rendu le 22 octobre 2020 (lien ici), la Cour de cassation retient que le préjudice d’agrément est caractérisé lorsque la pratique antérieure d’une activité sportive ou de loisir est limitée, sans être pour autant être totalement impossible.
Selon la Nomenclature Dintilhac, parmi les postes de préjudices dont la victime d’un événement traumatique (accident de la route, erreur médicale, agression, accident de la vie, accident de sport, etc…) est fondée à demander réparation, figure le préjudice d’agrément, à savoir l’indemnisation du dommage lié à l’impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir.
Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau de compétence dans l’activité, fréquence de la pratique, etc.).
Lorsque la juridiction amenée à statuer en matière d’accident du travail ou de maladie professionnelle reconnaît la faute inexcusable de l’employeur, l’article L 452-3 du Code de la sécurité sociale autorise la victime à lui demander, notamment, l’indemnisation de son préjudice d’agrément, s’il existe.
Mais qu’en est-il lorsque la victime ne justifie pas d’une impossibilité totale de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisir antérieure, mais seulement de difficultés à la pratiquer, restreignant sa fréquence ou sa durée, voire ses performances ?
En d’autres termes, la seule limitation de la pratique régulière justifie-t-elle une indemnisation alors que la définition du préjudice d’agrément (dans la Nomenclature Dintilhac) se réfère principalement à la notion d’impossibilité ?
C’était dans notre affaire la question posée à la Cour d’appel d’Amiens puis à la Cour de Cassation.
En l’occurrence, un salarié était victime d’une maladie professionnelle entraînant une dyspnée (gêne respiratoire) à l’effort.
Il a engagé une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, laquelle a été admise par la juridiction de sécurité sociale compétente.
Avant sa maladie professionnelle, la victime pratiquait le bricolage et le cyclisme ; activités auxquelles elle ne pouvait plus désormais se livrer aussi longtemps et fréquemment.
Cette victime a demandé l’indemnisation du préjudice d’agrément qui, selon elle, en découlait.
La Cour d’appel d’Amiens a estimé que la dyspnée d’effort dont se trouvait atteinte la victime limitait substantiellement celle-ci dans l’accomplissement de ses activités de loisirs de cyclisme et de bricolage, qui nécessitent une totale capacité respiratoire dont elle était aujourd’hui dépourvue.
La Cour d’appel a donc fait droit à la demande d’indemnisation du préjudice d’agrément.
L’employeur s’est alors pourvu en cassation contre cette décision, en soulignant que seule l’impossibilité de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisir ouvrait droit à indemnisation au titre du préjudice d’agrément, et non la simple limitation de cette pratique.
Dans sa décision du 22 octobre 2020 la Cour de cassation rejette le pourvoi sur ce point, en énonçant, comme la Cour d’appel, que la limitation substantielle de la pratique des activités de bricolage et de cyclisme antérieure à la maladie professionnelle justifie l’indemnisation au titre du préjudice d’agrément.
Cet arrêt est intéressant à double titre :
- D’une part en ce qu’il élargit le champ d’intervention du préjudice d’agrément dès lors que la pratique de l’activité sportive ou de loisir demeure possible mais substantiellement restreinte ;
- D’autre part, en ce qu’il conforte une jurisprudence initiée en 2018 (Cf : Cass. Civ. 2ème, 29 mars 2018, n° 17-14499 ayant statué dans le même sens pour un sportif écarté des podiums en raison séquelles des traumatismes subis, mais qui continuait néanmoins à pratiquer son sport de façon modérée et avec une intensité moindre et Cass. Civ. 2ème, 10 octobre 2019, n° 18-11791 qui censure un arrêt de Cour d’appel ayant refusé de retenir le préjudice d’agrément en raison de la seule limitation et réduction de l’activité de jardinage antérieure ; activité demeurant néanmoins possible).
N’en déplaise aux assureurs et aux responsables d’évènements traumatiques, ce nouvel arrêt s’inscrit dans la tendance actuelle à l’élargissement de la prise en compte du préjudice d’agrément et de son indemnisation.
Cette analyse peut être rapprochée d’un article précédent où nous traitions de la reconnaissance par la Cour de cassation du préjudice d’agrément, y compris en cas de pratique antérieure « dilettante » d’activités sportive ou de loisir, en dehors de toutes structures dédiées, comme les clubs, terrains ou salles de sport (Cass. Civ. 2ème, 13 février 2020, n° 19-10572).
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