Par un arrêt rendu le 10 février 2022 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation réaffirme le pouvoir souverain d’appréciation des Juges du fond s’agissant de la fixation de la date de consolidation de l’état de santé de la victime et partant, de son impact sur la prescription.
1) Quels sont les faits et le parcours procédural de cette affaire ?
Un enfant de 3 ans a été victime d’un très grave accident de la route en 1985.
Le 14 avril 1994, une décision de justice a condamné le conducteur responsable de cet accident corporel ainsi que son assureur à indemniser la victime des préjudices qu’elle a subis.
Le 17 janvier 2001, alors que cette victime était devenue majeure, une nouvelle expertise médicale a été ordonnée et l’expert judiciaire a déposé son rapport d’expertise le 15 mai 2002.
Le 18 mai 2015, la victime, entre-temps placée sous curatelle, a assigné le conducteur responsable et son assureur afin d’obtenir un complément d’indemnisation.
Le Tribunal de grande instance (devenu Tribunal judiciaire) du PUY-EN-VELAY a rejeté la demande de la victime en lui opposant la prescription de son action.
Par un arrêt en date du 27 mai 2020, la Cour d’appel de RIOM a confirmé le jugement entrepris.
La victime a alors formé un pourvoi en cassation.
2) Pourquoi la Cour d’appel de RIOM a-t-elle rejeté la demande d’indemnisation complémentaire de la victime ?
Pour rejeter la demande d’indemnisation complémentaire formulée par la victime, la Cour d’appel de RIOM a estimé que l’action était prescrite dans la mesure où plus de 10 ans s’étaient écoulés entre le dépôt du rapport d’expertise (15 mai 2002) et l’introduction de l’action (18 mai 2015).
Plus précisément, la Cour d’appel de RIOM a estimé que :
- Après analyse du rapport de l’Expert, l’état séquellaire de la victime n’était pas susceptible d’évoluer favorablement ;
- Il n’est pas apparu que cet état se soit aggravé depuis le rapport d’expertise du 15 mai 2002 ;
- Les termes du rapport d’expertise permettaient de constater que la consolidation était acquise à la date du rapport et ce, même si l’Expert n’avait pas formellement déterminé cette date (dans la mesure où la mission qui lui avait été impartie ne lui demandait pas de le faire) ;
La Cour d’appel de RIOM a décidé, au vu de ces éléments, que le délai de prescription avait commencé à courir à la date du dépôt du rapport d’expertise.
La victime a contesté cette décision dans la mesure où, selon elle, la prescription n’avait pas pu commencer à courir puisque le rapport d’expertise ne mentionnait pas de date de consolidation.
La victime prétendait que la prescription ne pouvait commencer à courir qu’à partir du moment où son point de départ avait été formellement constaté et qu’il avait été porté à sa connaissance.
3) Qu’est-ce que la consolidation de l’état de santé ?
Il n’existe pas de définition légale de la consolidation.
Aussi, convient-il de se reporter au texte rédigé en 1987 par la Commission de réflexion sur l’évaluation du dommage corporel du Centre de documentation sur le dommage corporel qui définit la date de consolidation comme :
« Le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une aggravation et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ».
La date de consolidation peut donc être fixée lorsque les séquelles de la victime présentent un caractère définitif et stable.
La consolidation peut donc s’entendre comme étant la stabilisation de l’état de la victime (et non sa guérison).
Tant que la consolidation n’est pas acquise, la liquidation définitive des préjudices de la victime ne pourra pas être effectuée.
Cependant, avant que la consolidation n’intervienne, les victimes peuvent obtenir des provisions à valoir sur l’indemnisation définitive de leurs préjudices.
Il convient de préciser que la date de consolidation ne coïncide pas nécessairement avec la fin de la période d’arrêt de travail de la victime :
- La victime peut reprendre son travail avant d’être consolidée en poursuivant les traitements qui lui ont été prescrits ;
- La victime peut également être consolidée sans pour autant être en mesure de reprendre, compte-tenu des séquelles, son activité professionnelle antérieure.
La fixation de la date de consolidation de l’état de santé de la victime est une étape clé dans le processus indemnitaire et ce, à deux égards.
Elle constitue tout d’abord la frontière entre les préjudices temporaires et les préjudices permanents.
Elle marque également le point de départ du délai de prescription de 10 ans de l’action en indemnisation prévu par l’article 2226 du Code civil qui dispose, en son premier alinéa :
« L’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ».
4) Quelle était la question posée à la Cour de cassation ?
Les Juges du fond peuvent-ils, en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation, déterminer la date de consolidation de l’état de santé de la victime en l’absence d’une fixation formelle de celle-ci dans le rapport d’expertise ?
5) Le pouvoir souverain d’appréciation des Juges du fond consacré par la Cour de cassation
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la victime en rappelant tout d’abord que l’action en responsabilité civile extracontractuelle se prescrit par 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation (article 2270-1 du Code civil alors applicable).
La Haute Juridiction rappelle également qu’en cas de dommage corporel ou d’aggravation dudit dommage, c’est la date de consolidation qui fait courir le délai de prescription prévu par ce texte.
Ces principes étant rappelés, la Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel de RIOM et consacre, une nouvelle fois, le pouvoir souverain d’appréciation des Juges du fond à l’égard du rapport d’expertise médicale et, au cas présent, s’agissant de la fixation de la date de consolidation de l’état de santé de la victime.
Il s’agit là d’une position constante de la Cour de cassation (voir notamment : Cass. 2ème Civ., 17 septembre 2009, n° 08-15113 et Cass. 2ème Civ., 11juillet 2002, n° 01-02182).
En l’espèce, la difficulté initiale résidait dans le fait que l’Expert n’avait pas fixé la date de consolidation dans le cadre de son rapport d’expertise (faute de question à ce sujet dans la mission qui lui avait été impartie).
La généralisation de l’utilisation de la nomenclature DINTHILAC dans le cadre des missions données aux experts pour évaluer les préjudices corporels des victimes d’évènements traumatiques (accidents de la circulation, accidents de la vie, accidents de sport, agressions, erreurs médicales, etc.) devrait en principe éviter que la date de consolidation puisse être omise d’un rapport d’expertise puisque cette date marque la frontière entre les préjudices temporaires et permanents que l’expert doit caractériser.
En tout état de cause, la fixation de la date de consolidation constitue un élément essentiel du processus indemnitaire et il convient donc d’être extrêmement vigilant sur cette question lors de l’expertise médicale.
A cet égard, est-il besoin de rappeler à quel point il est important que la victime soit assistée de son médecin-conseil et de son avocat lors de l’expertise ?
N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.