De l’incidence d’une prédisposition pathologique sur le droit à indemnisation d’une victime d’un accident de la route (Cass. Civ. 2ème 20 mai 2020)

victime accident de la route réparation intégrale des préjudices

Aux termes d’un arrêt rendu le 20 mai 2020 (lien iciet publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle que le droit, pour la victime d’un accident de la route, d’obtenir l’indemnisation intégrale de son préjudice, ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résulté n’a été provoquée ou révélée que du fait de l’accident.

1) Quels sont les faits et le parcours procédural de cette affaire ?

Le 23 août 2011, une personne âgée de 56 ans a été victime d’un accident de la route.

A la suite de cet accident corporel, la victime a indiqué avoir perçu un « flash » et avoir ressenti des décharges dans les membres inférieur et supérieur droits. Elle a été transportée dans un centre hospitaliser au sein duquel il lui a été diagnostiqué un traumatisme cervical bénin.

Deux jours après cet accident de la circulation, la victime a présenté des tremblements de main droite associés à des céphalées.

Une scintigraphie cérébrale a mis en évidence l’existence d’un syndrome parkinsonien.

Après avoir subi une expertise médicale, la victime a assigné la conductrice responsable de l’accident ainsi que son assureur en réparation de ses préjudices.

Par un arrêt du 03 septembre 2018, la Cour d’appel de BORDEAUX a jugé en substance que la maladie de parkinson dont souffrait la victime avait été révélée par l’accident de la route et qu’en conséquence, elle lui était imputable et que le droit à réparation de la victime était intégral.

Mécontents de cette décision, la conductrice responsable et son assureur ont interjeté appel de cette décision.

2) Pourquoi la Cour d’appel de BORDEAUX a-t-elle estimé que la maladie de Parkinson dont souffrait la victime était imputable à l’accident de la route ?

Pour accueillir favorablement la demande indemnitaire de la victime, la Cour d’appel de BORDEAUX a retenu que :

– Avant l’accident, aucun tremblement ni aucun symptôme de la maladie de Parkinson n’avait été décelé chez la victime ;

– S’il était établi par les Experts que la maladie de Parkinson n’avait pas d’origine traumatique, ces derniers s’accordaient également sur le fait qu’il s’agissait en l’espèce d’un état antérieur méconnu ;

– Le rapport d’expertise médicale précisait qu’il n’était pas possible de dire dans quel délai la maladie serait survenue ;

– La maladie de Parkinson ne s’était pas extériorisée avant l’accident ;

La Cour, considérant que cette affection n’avait été révélée que par le fait dommageable, celle-ci lui était imputable et impliquait la réparation intégrale des préjudices de la victime (en ce compris ceux résultant du syndrome parkinsonien).

3) Qu’est-ce que la réparation intégrale des préjudices ?

Le principe de réparation intégrale des préjudices est un principe fondamental de notre droit de la responsabilité civile.

Le fondement de ce principe dans l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382) aux termes duquel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer  ».

Le principe de réparation intégrale des préjudices implique que le responsable d’un dommage doit indemniser tout le dommage et uniquement le dommage, sans qu’il en résulte ni appauvrissement, ni enrichissement de la victime.

Il s’agit  d’un principe de stricte équivalence entre la réparation et le dommage.

A titre d’illustration, la Cour de cassation a déjà jugé que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (Cass. 2ème Civ, 28 octobre 1954, J.C.P. 1955, II, 8765).

Il s’agit donc, pour le juge, de s’efforcer, dans la mesure du possible, de rétablir la victime dans une situation identique à celle dans laquelle elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit, tout en évitant qu’elle puisse tirer de la réparation un enrichissement injuste.

4) Qu’est-ce que l’état antérieur d’une victime ?

L’état antérieur est un état pathologique caractérisé qui comprend tous les troubles ou affections pathologiques, connus ou latents, que présente un individu et qui existait déjà avant le fait générateur de responsabilité (accident de la circulation, agression, erreur médicale, accident domestique, accident de sport, etc.).

L’état antérieur est une notion systématiquement utilisée dans le cadre des missions d’expertise et ce, qu’elles interviennent sous forme amiable ou qu’elles soient confiées par un Tribunal à un expert judiciaire.

Il est, en effet, systématiquement demandé à l’expert en charge de la mission d’expertise de déterminer si la victime présente ou non un état antérieur et, dans l’affirmative, de déterminer, parmi les séquelles dont il est fait état, celles qui sont imputables au fait générateur de responsabilité et celles qui relèvent dudit état antérieur.

Conformément au principe de réparation intégrale du préjudice, seules les séquelles imputables à l’évènement traumatique seront indemnisées, à l’exclusion de celles qui ne sont pas en lien direct avec ce fait générateur.

L’état antérieur pose la question fondamentale de l’imputabilité des séquelles au fait générateur de responsabilité et c’est au médecin expert qu’il appartient de définir cet état antérieur tant dans son principe que dans son étendue (imputabilité exclusive, partielle ou exclue).

Lors de l’expertise médicale, l’assistance de la victime par un médecin conseil et/ou un avocat est primordiale car bien souvent, l’expert va exclure l’imputabilité d’un préjudice au motif qu’il résulterait d’une prédisposition pathologique ou anatomique antérieure au fait générateur de responsabilité.

Par exemple, il n’est pas rare que l’expert rejette un dommage d’ordre psychiatrique au motif que la victime ait présenté, par le passé, une fragilité psychologique.

La décision de la Cour de cassation du 20 mai 2020 permet de rappeler que dans certaines espèces, il est relativement fréquent de constater qu’un accident « léger » génère, chez les personnes qui en sont victimes, des préjudices beaucoup plus importants, par un phénomène de décompensation.

L’évènement traumatique sera ainsi considéré comme un déclencheur ou un accélérateur de l’apparition d’une maladie par exemple.

C’est ce qu’on appelle l’effet de décompensation d’un état antérieur.

5) Quelle était l’argumentation de la conductrice responsable et de son assureur au soutien de leur pourvoi ?

Pour critiquer l’arrêt rendu par la Cour d’appel de BORDEAUX, la conductrice responsable de l’accident et son assureur ont mis en avant le fait que la maladie de Parkinson dont était atteinte la victime, « constituant l’évolution inéluctable d’une pathologie antérieure, se serait manifestée de manière certaine » et ce, « indépendamment de la survenance du fait générateur ».

La critique portait donc sur le lien de causalité entre le dommage et la partie du préjudice de la victime en relation avec la maladie de Parkinson.

Les demandeurs au pourvoi critiquaient la décision de la Cour d’appel en ce qu’elle se bornait, d’après eux, à relever que la maladie de Parkinson n’avait été révélée que par le fait dommageable sans rechercher si cette affection ne se serait pas nécessairement déclarée à plus ou moins brève échéance.

Ils estimaient ainsi que les conséquences de cette pathologie ne pouvaient dès lors être mises à leur charge.

6) Quelle était la question posée à la Cour de cassation ?

La prédisposition pathologique de la victime d’un accident de la route peut-elle réduire son indemnisation alors même que l’affection dont elle est atteinte ne s’est déclarée que postérieurement à l’accident ?

D’une manière plus générale, le pourvoi en cassation formé dans cette espèce vient à nouveau interroger la question du lien de causalité entre un évènement traumatique dommageable et un préjudice corporel subi par une victime qui présente une pathologie latente.

7) La Cour de cassation confirme une jurisprudence bien établie

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la conductrice responsable et son assureur.

Selon la Haute juridiction, l’absence totale de symptômes antérieurs à l’accident, l’impossibilité de prédire dans quel délai la maladie de Parkinson serait survenue et le fait que cette affection se soit révélée postérieurement à l’évènement traumatique ont conduit, à juste titre, la Cour d’appel à retenir l’imputabilité de cette pathologie à l’accident et que le droit à réparation de la victime devait être intégral.

La question de la prédisposition pathologique de la victime à la réalisation du dommage n’est pas nouvelle et bénéficie d’un traitement jurisprudentiel désormais bien établi (Voir notamment : Cass. 2ème Civ. 10 novembre 2009, n° 08-16920 ou bien encore : Cass. 2ème Civ. 19 mai 2016, n° 15-18784 et notre commentaire de cette décision ici).

En substance, il importe de distinguer si la victime souffre d’un état antérieur latent ou patent.

Seul l’état antérieur « patent » (et donc nécessairement révélé avant la survenance de l’évènement traumatique), aura une incidence sur le droit à indemnisation de la victime qui en souffre.

Précisons également que s’il est établi que l’état antérieur latent de la victime se serait nécessairement manifesté et ce, indépendamment de la survenance de l’évènement traumatique, le droit à indemnisation de la victime peut, sur ce point, se voir limiter à l’indemnisation de l’accélération du processus pathologique (Cass. 2ème Civ. 22 novembre 2017, n° 16-23804 & 16-24719)

A la suite de ces décisions, la difficulté résidait toutefois dans la prévisibilité de l’évolution de cet état latent.

L’arrêt rendu le 20 mai 2020 apporte une précision intéressante à cet égard : la pathologie latente doit se manifester dans un « délai prévisible » (Voir à ce sujet le commentaire de la décision rédigé par Madame Solenne HORTALALE le 30 juin 2020 au sein de la revue DALLOZ Civil Responsabilité).

Désormais, il ne suffira plus au responsable de mettre en avant une manifestation certaine de la pathologie préexistante et ce, indépendamment de la survenance de l’évènement traumatique, pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité.

Encore faudra-t-il qu’il démontre que cette manifestation serait intervenue dans un délai prévisible.

De fait, cette solution, qui s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante, vient toutefois, par cette précision, conforter et sécuriser la situation des victimes d’évènements traumatiques souffrant d’une pathologie préexistante.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.