Un piéton heurté par un tramway circulant sur une portion de voie spécifique n’est pas une victime d’un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985 (Cass. Civ. 2ème, 05 mars 2020)

accident piéton tramway Aux termes d’un arrêt rendu le 05 mars 2020 (lien ici), la Cour de cassation précise que la personne renversée par un tramway alors qu’elle se trouvait sur une portion de voie exclusivement réservée à la circulation dudit tramway n’est pas victime d’un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 05 juillet 1985, dite Loi Badinter.

Rappelons que cette loi n’a vocation à s’appliquer, selon son article premier, qu’à toute personne  « victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

Mais qu’en est-il lorsque les voies d’un tramway passent, à intervalles réguliers, par des carrefours utilisés également par d’autres véhicules terrestres à moteur, comme des automobiles, ou lorsque des passages pour piétons les traversent en certains endroits ?

Peut-on toujours parler d’une « voie propre » excluant l’application de la loi Badinter ?

En l’espèce, un piéton a été heurté par un tramway sur une portion de rails spécifiquement réservée à sa circulation, tandis que sur d’autres portions du parcours du tramway, les rails se trouvaient traversés par au moins un passage piéton et au moins un carrefour permettant la circulation d’autres véhicules.

Par voie d’assignation, la victime a demandé à la société exploitante du tramway, ainsi qu’à son assureur, l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la loi Badinter (dont l’objet est de faciliter et d’accélérer l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation), en affirmant que cette loi avait vocation à s’appliquer dans la mesure où l’accident ne s’était pas produit sur une voie propre, à savoir une voie rendue inaccessible sur l’intégralité de son parcours aux piétons ainsi qu’à tout autre véhicule.

L’argument était adroit dans la mesure où la Cour de cassation avait précédemment jugé, dans une affaire de collision avec un camion de pompiers, qu’un tramway qui traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route ne circule pas sur une voie qui lui est propre (Cass. Civ. 2ème, 16 juin 2011, n° 10-19491).

Mais à l’inverse, dans des arrêts relatifs à des trains, la Haute juridiction a pu poser qu’un train circule sur une voie propre même si un accident a lieu sur un passage à niveau ou à d’autres endroits communs aux chemins de fer et aux usagers de la route (Cass Civ. 2ème, 19 mars 1997, n° 95-19314, Cass Civ. 2ème, 17 novembre 2016, n° 15-27832 et Cass Civ. 2ème, 8 décembre 2016, n° 15-26265).

Dans notre espèce, la Cour d’appel de BORDEAUX a jugé que l’accident corporel survenu ne relevait pas du régime de la loi du 05 juillet 1985, en considérant que le tramway, au moment de l’impact, circulait sur une portion de voie qui lui était strictement réservée.

La victime a décidé de former un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation avait donc l’occasion de préciser sa jurisprudence relative à la notion de « voie propre » ainsi que son étendue.

Aux termes de sa décision rendue le 05 mars 2020, la Haute Juridiction a rejeté le pourvoi en retenant que le tramway circulait, au moment de l’impact, « sur une portion de voie réservée exclusivement à sa circulation ».

La Cour de cassation prend le soin de souligner que sur le lieu de l’accident, « les voies du tramway n’étaient pas ouvertes à d’autres circulations et étaient clairement rendues distinctes des autres voies de circulation des autres véhicules par une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher l’empiétement, que des barrières étaient installées de part et d’autre afin d’interdire le passage des piétons sur la voie réservée, qu’un terre-plein central était implanté entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement, que le passage piétons situé à proximité était matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons, et que puisque le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après le passage piétons ».

Considérant ainsi que l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée exclusivement à la circulation du tramway, la Cour de cassation en a déduit que « l’application de la loi du 5 juillet 1985 était exclue ».

La Haute juridiction semble donc considérer, pour les voies de tramways, que la loi Badinter a vocation à s’appliquer « par tranches » ou « portions », selon que celles-ci sont, ou non, ouvertes au passage d’autres véhicules ou piétons.

Dans le premier cas, la loi du 5 juillet 1985 aura vocation à s’appliquer, alors que dans le second cas, elle ne s’appliquera pas.

On peut regretter, s’agissant des victimes, que la Cour de cassation ait mis un frein, dans cet arrêt du 05 mars 2020, à la réduction du champ d’application de l’exception du régime de la loi Badinter, qu’elle avait pourtant amorcée en 2011 pour les tramways.

Certes, il n’est pas contestable qu’en l’espèce, la victime avait fait preuve d’une imprudence manifeste en traversant les voies à un endroit manifestement conçu pour interdire un tel comportement.

La question se pose toutefois de l’opportunité de maintenir une distinction entre les victimes et de considérer qu’ayant commis une faute, celles victimes d’un accident impliquant un tramway doivent être moins bien protégées que celles blessées par un véhicule terrestre à moteur.

Sur ce point, la loi future pourrait être moins pusillanime puisque le Projet de réforme de la responsabilité civile présenté en mars 2017 effacerait (dans un nouvel article 1285 du Code civil) toute exception relative aux chemins de fer, aux tramways et aux voies propres.

 

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.