Accident de la route : Préjudice exceptionnel des victimes indirectes (Cass. Civ. 2ème 10 octobre 2024)

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Par un arrêt en date du 10 octobre 2024 et publié au Bulletin (lien ici), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé les contours de l’indemnisation des proches de la victime directe et plus précisément l’indemnisation du préjudice extrapatrimonial exceptionnel.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 26 mai 2000, une fillette de 10 ans a été victime d’un accident de la route au cours duquel elle a été gravement blessée.

Elle a notamment présenté un important traumatisme crânien.

La jeune victime a conservé des séquelles importantes et la consolidation de son état de santé n’est intervenue que le 03 avril 2019 ; date à laquelle ses préjudices ont été considérés comme n’étant plus susceptibles d’amélioration ou d’aggravation.

En raison de ses lourdes séquelles, la victime est restée vivre chez ses parents.

Une fois la consolidation de son état de santé acquise, la fillette devenue adulte (victime directe) mais également sa mère (victime indirecte) ont chacune demandé l’indemnisation de leurs préjudices en engageant une procédure à l’encontre de la compagnie d’assurance du conducteur responsable de l’accident corporel.

2) Comment les victimes indirectes peuvent-elles être indemnisées ?

La victime indirecte (également appelée victime par ricochet) est celle qui ne souffre pas personnellement d’un dommage mais qui subit un préjudice du fait des dommages causés à la victime directe.

Il s’agit le plus souvent des proches de la victime.

Les victimes indirectes peuvent demander l’indemnisation de leurs propres préjudices.

Il peut s’agir notamment :

  • De leur perte de gains professionnels, lorsque les proches de la victime directe ont arrêté de travailler pour s’occuper d’elle et ont ainsi subi une perte de revenus ;
  • Des frais divers qu’elles ont exposés, par exemple les frais de déplacement engagés pour rendre visite à la victime directe pendant son hospitalisation ;
  • De leur préjudice d’affection, qui correspond au préjudice moral subi par certains proches au contact de la souffrance de la victime directe ;
  • Du préjudice exceptionnel si la vie des proches a été grandement impactée par les conséquences de l’accident.

3) Quels étaient les enjeux de cette affaire ?

Dans cette affaire, l’accident de la circulation est survenu alors que la victime directe était très jeune.

Ce sont ses parents qui l’ont accueillie lorsqu’elle n’était pas hospitalisée.

Par la suite, la victime est devenue adulte mais son lourd handicap a conduit ses parents à continuer de la prendre en charge à leur domicile.

Sa mère a donc estimé avoir souffert d’un préjudice exceptionnel considérant que ses conditions d’existence ont été bouleversées par la situation de handicap de sa fille et par sa prise en charge au quotidien.

4) Quelle a été la décision de la Cour d’appel ?

Aux termes d’un arrêt rendu le 06 décembre 2022, la Cour d’appel de BESANCON a considéré que la mère de la victime n’avait souffert d’aucun préjudice exceptionnel.

Les Juges du fond ont estimé que la mère de la victime était âgée de 43 ans au moment de l’accident, qu’elle n’exerçait aucune activité professionnelle et qu’elle prenait déjà en charge ses trois filles mineures.

La Cour d’appel a de surcroît noté que le déménagement de la famille intervenu en 2011 n’était pas lié à l’état de santé de la victime directe mais au départ à la retraite du père de famille.

Les magistrats ont ainsi jugé que l’accident n’avait pas modifié les projets de vie de la mère de la victime.

La Cour a ajouté que si la mère de la victime s’était investie au quotidien auprès de sa fille, cet investissement avait donné lieu à une indemnisation au titre du poste de préjudice « tierce personne », et qu’il n’était pas possible d’indemniser deux fois le même préjudice.

5) Qu’est-ce que l’indemnisation de la tierce personne ?

Une victime blessée peut se retrouver dans l’incapacité d’assumer seule les actes de la vie courante tels que le ménage, la préparation des repas, la toilette, l’habillage, les courses, les déplacements, etc.

Cette perte d’autonomie peut être compensée par un service d’aide à la personne ou par les proches de la victime.

C’est l’expertise médicale qui permet d’évaluer ce poste de préjudice.

Concrètement, l’expert judiciaire va devoir évaluer le besoin d’aide qui a été nécessaire pour assister la victime dans les actes du quotidien, avant la consolidation de son état de santé (on parle alors de tierce personne temporaire) et, le cas échéant, après cette consolidation (on parle alors de tierce personne définitive).

La victime pourra ensuite demander une indemnisation au titre du besoin d’aide humaine qui a été retenu par l’expert.

Il convient de préciser qu’une jurisprudence constante estime que l’indemnisation ne peut être réduite au motif que l’aide est assumée bénévolement par des proches (Cass. Civ. 2ème 22 mai 2019  – Voir notre commentaire de cette décision ici)

En l’espèce, la Cour d’appel a considéré que la présence de la mère de la victime aux côtés de sa fille avait déjà été indemnisée au titre de la tierce personne et ne pouvait donc pas l’être à nouveau au titre d’un préjudice exceptionnel de la victime indirecte.

6) Quelle a été la décision rendue par la Cour de cassation ?

La Cour de cassation, au visa du principe de réparation intégrale des préjudices a censuré la décision de la Cour d’appel.

La Haute Juridiction considère que « les proches d’une victime directe handicapée, partageant habituellement avec elle une communauté de vie affective et effective, que ce soit à domicile ou par de fréquentes visites, peuvent être indemnisés d’un préjudice extrapatrimonial exceptionnel résultant des changements dans leurs conditions d’existence entraînés par la situation de handicap de la victime directe ».

Elle ajoute que ce poste de préjudice exceptionnel « indemnise tous les bouleversements induits par l’état séquellaire de la victime (c’est-à-dire par les séquelles conservées par la victime directe) dans les conditions de vie de ses proches ».

En l’espèce, la Cour de cassation a pris en considération le fait que la mère de la victime s’investissait quotidiennement, depuis l’accident, dans la prise en charge de sa fille souffrant d’importants troubles neuro-cognitifs et résidant toujours au domicile parental.

Dans ces conditions, la Cour a retenu que la demande formée par un proche de la victime au titre d’un préjudice exceptionnel d’une victime indirecte ne se confondait pas avec l’indemnisation de la victime directe au titre de ses besoins d’assistance par une tierce personne.

Cela ne revient aucunement à une double indemnisation d’un même préjudice et correspond bien à l’application du principe de réparation intégrale du préjudice car il faut bien distinguer :

  • D’une part, le besoin d’assistance par une tierce personne de la victime directe ;
  • D’autre part, le préjudice des victimes indirectes dont le quotidien est fortement impacté lorsqu’ils s’impliquent au quotidien dans la prise en charge de leur proche handicapé.

Nous ne pouvons que saluer cette décision qui contribue à une meilleure indemnisation des victimes indirectes qui prennent en charge des victimes directes lourdement blessées à la suite d’un évènement traumatique (accident de la route, accident de la vie, agression, erreur médicale, accident de sport, etc.).

Les victimes indirectes pourront ainsi, lorsqu’elles subissent une modification de leurs projets de vie qui va au-delà de l’investissement au quotidien qu’elles assurent auprès de la victime directe (et qui est réparé par l’indemnisation au titre de la tierce personne), être indemnisées au titre d’un préjudice extrapatrimonial exceptionnel.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.