Accident de la route : Des douleurs lombaires peuvent constituer un préjudice sexuel (Cass. Civ. 2ème 10 octobre 2024)

indemnisation accident de la route préjudice sexuel douleurs lombaires

Aux termes d’un arrêt rendu le 10 octobre 2024 (lien ici) et publié au Bulletin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la portée de la notion de préjudice sexuel en présence de douleurs lombaires.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 31 mars 2012, un homme a été victime d’un accident de la route impliquant un véhicule terrestre à moteur.

Souhaitant obtenir l’indemnisation de ses préjudices, la victime a assigné l’assureur du véhicule impliqué ainsi que le tiers payeur.

Dans le cadre de la procédure, une expertise médicale a été réalisée pour évaluer les différents postes de préjudice de la victime.

Par la suite, cette dernière a contesté le montant de l’indemnisation qui lui a été attribuée pour plusieurs postes de préjudice (tierce personne temporaire, pertes de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, déficit fonctionnel permanent et préjudice sexuel) et s’est pourvu en cassation.

En l’espèce, nous ne commenterons l’arrêt du 10 octobre 2024 que sur la contestation relative au préjudice sexuel.

L’expert judiciaire a retenu que parmi les séquelles définitives imputables à l’accident corporel dont il a été victime, l’homme blessé présentait des douleurs lombaires qui impactaient ses rapports sexuels.

L’expert a retenu les douleurs lombaires au titre du poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent » mais s’est refusé à retenir un préjudice sexuel.

2) Qu’est-ce que le préjudice sexuel ?

Le préjudice sexuel constitue un poste de préjudice qui vise à indemniser trois types de préjudices touchant au domaine de la sexualité :

  • Le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi ;
  • Le préjudice lié à l’acte sexuel en lui-même qui est caractérisé par la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir, etc.) ;
  • Le préjudice lié à une difficulté ou à une impossibilité de procréer.

L’évaluation de ce poste de préjudice se fait au cas par cas en fonction de l’âge de la victime, de sa situation ainsi que des conséquences précises du préjudice décrites par l’expert dans son rapport.

3) Quel était le préjudice sexuel invoqué par la victime ?

La victime, dans cette affaire, demandait l’indemnisation de son préjudice sexuel en raison de douleurs lombaires qu’elle estimait gênantes lors de l’accomplissement de l’acte sexuel.

Il arrive qu’à la suite d’un évènement traumatique (accident de la circulation, accident de la vie, accident de sport, agression, erreur médicale), la réalisation de l’acte sexuel soit toujours possible, qu’il n’existe aucune atteinte morphologique ni aucune difficulté à procréer, mais que la victime ressente un préjudice sexuel du fait, par exemple, d’une gêne positionnelle ou de phénomènes douloureux lors de l’accomplissement de l’acte.

Dans cette hypothèse, la réalisation de l’acte sexuel est toujours possible mais elle s’avère douloureuse ou difficile.

C’était précisément le cas de cette victime.

La question était donc de savoir si les douleurs lombaires qu’elle ressentait pendant l’accomplissement de l’acte constituait ou non un préjudice sexuel indemnisable.

4) Quelle a été la décision rendue par la Cour d’appel ?

La Cour d’appel de GRENOBLE, dans son arrêt du 13 septembre 2022, a rappelé que l’expert n’avait pas retenu l’existence d’un préjudice sexuel.

L’expert avait en effet considéré que les douleurs lombaires évoquées par la victime étaient déjà indemnisées au titre du poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent ».

Le déficit fonctionnel permanent est un poste de préjudice qui intègre les séquelles correspondant à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel dont reste atteinte la victime, aux souffrances post consolidation ainsi qu’à l’impact sur la qualité de vie correspondant aux troubles dans les conditions d’existence de la victime après la consolidation de son état de santé.

L’expert avait considéré que les douleurs lombaires existaient mais qu’elles devaient n’être indemnisées qu’au titre du déficit fonctionnel permanent.

Par ailleurs, pour refuser de caractériser l’existence d’un préjudice sexuel, l’expert mettait en avant le fait que la victime ne souffrait d’aucune disparition de sa libido, que ses relations sexuelles persistaient et qu’il n’y avait pas d’impossibilité aux rapports sexuels ni d’infertilité.

La Cour d’appel a suivi le même raisonnement et a refusé de prendre en considération les douleurs ressenties par la victime lors de la réalisation de l’acte au titre du préjudice sexuel, estimant que ces douleurs lombaires étaient déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

Les Juges du fond ont ainsi considéré que les douleurs lombaires ne pouvaient pas à la fois être indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent et au titre du préjudice sexuel.

5) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?

La Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel de GRENOBLE sur plusieurs points et notamment celui qui nous occupe.

Sa décision a été rendue au visa du principe de réparation intégrale des préjudices, sans perte ni profit pour la victime, ce qui implique que cette dernière puisse être indemnisée de tout son préjudice mais uniquement de son préjudice.

La haute juridiction rappelle que le poste du préjudice sexuel comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle.

Dès lors qu’une victime subit un préjudice touchant à la sphère sexuelle, cette dernière pourra être indemnisée au titre du poste de préjudice « préjudice sexuel » même en l’absence d’un trouble morphologique ou d’infertilité et même si cette victime peut toujours avoir des rapports sexuels.

La Cour de cassation considère que les douleurs lombaires dont souffrait la victime en l’espèce caractérisaient l’existence d’un préjudice sexuel.

La Cour de cassation rappelle également que le préjudice sexuel est un préjudice permanent à caractère personnel qui est distinct du poste du déficit fonctionnel permanent.

En l’espèce, la victime devait donc être indemnisée de ses douleurs lombaires :

  • Au titre de son déficit fonctionnel permanent : car les douleurs lombaires caractérisent une réduction de son potentiel physique, des souffrances pérennes après la consolidation de son état de santé et/ou des troubles dans ses conditions d’existence ;
  • Au titre de son préjudice sexuel : car dans la sphère intime, ces douleurs lombaires rendent l’acte sexuel douloureux.

Nous ne pouvons que saluer cette décision de la Cour de cassation, conforme à sa jurisprudence habituelle, étant précisé que la solution qu’elle a retenue ne revient pas à une double indemnisation mais bien à l’indemnisation intégrale de chaque poste de préjudice.

 

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.