Accident de la route : notion d’implication du véhicule dans un « accident complexe » (Cass. Civ. 2ème 15 décembre 2022)

Indemnisation victime accident complexe

Par un arrêt rendu le 15 décembre 2022 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation réaffirme sa définition extrêmement large de la notion d’implication d’un véhicule dans un accident complexe et juge que l’assureur d’un véhicule en stationnement, qui n’a eu aucun contact avec la victime, est tenu de contribuer à son indemnisation.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le conducteur d’un scooter a heurté un premier véhicule.

Il a été éjecté et a atterri sur le capot d’un deuxième véhicule.

Son scooter a continué sa course et a percuté un troisième véhicule, régulièrement stationné à une vingtaine de mètres.

Il s’agit donc de ce que l’on appelle un « accident complexe ».

2) Quel est le parcours procédural de cette affaire ?

Le conducteur du scooter, blessé dans cet accident de la route, a été intégralement indemnisé de ses préjudices par l’assureur du premier véhicule qu’il a heurté.

Cet assureur a ensuite formé un recours en garantie auprès de l’assureur du deuxième véhicule (celui sur lequel la victime a été projetée), ce qui n’a posé aucune difficulté).

L’assureur a également formé un recours en garantie auprès de l’assureur du troisième véhicule (celui qui était en stationnement et contre lequel le scooter a terminé sa course).

C’est ce recours en garantie qui est l’objet du présent litige puisque l’assureur du troisième véhicule a refusé de contribuer à la réparation des dommages corporels de la victime, estimant qu’il n’y était pas tenu.

Les Juges devaient donc se prononcer pour savoir si ce véhicule, régulièrement stationné à 20 mètres du lieu initial de l’accident, pouvait être considéré comme étant impliqué dans l’accident corporel.

3) Qu’est-ce qu’un accident complexe et quelles sont les règles d’indemnisation applicables ?

Un accident complexe est un accident de la route qui implique plusieurs véhicules et dans lequel se succèdent plusieurs collisions.

On parle souvent de « carambolage » ou « d’accidents en chaîne ».

Lorsque plusieurs véhicules sont intervenus dans la survenance d’un accident de la circulation, il est impératif de savoir qui sera tenu à l’indemnisation des préjudices corporels des victimes.

La loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 dite « Loi Badinter » a pour objectif d’améliorer la situation des victimes d’accident de la circulation et l’accélération des procédures d’indemnisation.

En son article premier, cette loi précise qu’elle s’applique aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur.

C’est donc la notion d’implication qui est retenue pour déterminer qui sera tenu à indemnisation.

Cela signifie qu’une victime peut demander l’indemnisation de ses préjudices au conducteur ou à l’assureur de n’importe lequel des véhicules impliqués dans l’accident complexe.

Cela signifie aussi que l’assureur qui indemnise la victime d’un accident complexe peut former un « recours en contribution » à l’encontre des assureurs des autres véhicules impliqués pour les obliger à contribuer à la dette.

4) Quelle a été la décision rendue par la Cour d’appel ?

Par un arrêt en date du 09 décembre 2020, la Cour d’appel de RENNES a refusé de condamner l’assureur du troisième véhicule (celui qui était en stationnement) en considérant qu’il ne pouvait pas être considéré comme « impliqué » dans l’accident.

La Cour a motivé sa position en retenant que ce véhicule était régulièrement stationné à une vingtaine de mètres des points de choc ayant occasionné les blessures de la victime.

Elle a par ailleurs relevé que ce véhicule n’était pas entré en contact avec la victime.

Les Juges du fond ont enfin souligné que ce véhicule stationné n’avait causé aucun dégât matériel.

La Cour d’appel en a déduit que le véhicule n’est pas intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident et qu’il n’avait joué aucun rôle dans la réalisation de celui-ci.

5) Quelle a été la position de la Cour de cassation ?

La Haute juridiction, fidèle à une jurisprudence constante en la matière depuis plus de 20 ans (voir notamment : Cass. Civ. 2ème, 02 octobre 2008, n° 07-15902 ; Cass. Civ. 2ème, 21 novembre 2013, n° 12-26401 et Cass. Civ. 2ème,14 décembre 2017, n° 16-26398), censure le raisonnement adopté par la Cour d’appel.

Elle rappelle, au visa de l’article 1er de la loi du 05 juillet 1985, qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation.

La Cour de cassation rappelle que dans le cadre d’un accident complexe, la victime est en droit de demander l’indemnisation de ses préjudices à l’assureur de l’un quelconque des véhicules impliqués, même si elle n’a pas été en contact avec celui-ci.

En l’espèce, la Haute Juridiction retient que le scooter a achevé sa course contre le véhicule stationné et que les collisions étaient intervenues dans un même laps de temps et dans un enchainement continu, de sorte qu’elles constituaient un accident complexe dans lequel le véhicule en stationnement était bien « impliqué » au sens de la Loi Badinter.

La Cour de cassation réaffirme ainsi qu’un accident complexe doit s’appréhender de manière globale.

6) Quel est l’intérêt de cette décision ?

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de considérer qu’un véhicule pouvait être impliqué sans avoir été directement en contact avec la victime (c’est par exemple le cas d’un véhicule qu’un conducteur cherche à éviter).

La Cour de cassation avait également déjà retenu qu’un véhicule en stationnement pouvait être considéré comme impliqué.

Pour être impliqué, il suffit que le véhicule soit intervenu à quelque titre que ce soit ou à quelque moment que ce soit.

Le rôle causal, actif ou passif du véhicule n’a pas à être recherché : il est impliqué même s’il n’est pas à l’origine de l’accident et/ou des blessures et même s’il n’a eu qu’un rôle passif.

Il n’est pas nécessaire que le conducteur ou le gardien du véhicule soit responsable de l’accident ou des blessures ; il suffit que le véhicule soit impliqué pour que l’obligation d’indemniser la victime existe.

L’accident complexe doit s’apprécier dans sa globalité : Tous les véhicules impliqués d’une façon quelconque et leurs assureurs sont donc tenus au paiement dès lors que les collisions interviennent dans un même laps de temps et dans enchainement continu.

Cela présent un intérêt évident pour la victime qui pourra obtenir l’indemnisation de ses préjudices auprès de l’un, quelconque, des assureurs de tous les véhicules impliqués.

L’on retrouve, dans cette décision, l’essence même de la loi Badinter qui a volontairement retenu une conception extensive de la notion d’implication aux fins de « l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation » et de « l’accélération des procédures d’indemnisation ».

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.