Accident de la route : Indemnisation du besoin de l’assistance par une tierce personne (Cass. Civ. 2ème 19 décembre 2024)

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Par un arrêt en date du 19 décembre 2024 (lien ici) , la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a dû rappeler les conditions dans lesquelles les besoins d’assistance de la victime par une tierce personne doivent être indemnisés.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 20 juin 2014, une femme a été victime d’un grave accident de la route et a subi d’importants dommages corporels.

Une expertise médicale a été ordonnée par le Juge des référés d’un Tribunal de grande instance (désormais devenu Tribunal judiciaire) aux fins d’évaluer tous les postes de préjudice de la victime.

Cette expertise a notamment évalué les besoins d’assistance de la victime par une tierce personne à hauteur de 8 heures par jour au titre d’une présence active non médicalisée, et à hauteur de 14 heures par jour au titre d’une présence passive, soit 22 heures au total, pendant les années 2020 et 2021.

Sur la base de ce rapport d’expertise, la victime a assigné la compagnie d’assurance du conducteur responsable de l’accident corporel aux fins d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices corporels et notamment de son besoin d’assistance par une tierce personne temporaire.

2) Qu’est-ce que le poste de préjudice « tierce personne » ?

La tierce personne temporaire fait partie du poste de préjudice « frais divers » dont la victime peut solliciter l’indemnisation.

Il s’agit de dépenses liées à la réduction d’autonomie de la victime.

Une victime peut avoir besoin d’une aide dans les actes de la vie courante (par exemple pour les courses, le ménage, la préparation des repas, la toilette, l’habillage, les déplacements, la garde d’un enfant, etc.) ou même avoir besoin d’une surveillance (par exemple la nuit).

La perte d’autonomie de la victime est compensée par une aide extérieure.

Cette aide peut être apportée par l’entourage de la victime ; on parle alors d’aide familiale.

Cette aide peut également être apportée par une société ou par un prestataire extérieur rémunéré.

S’agissant de l’aide humaine nécessaire entre la date de l’évènement traumatique (accident de la circulation, accident de la vie, accident de sport, agression, erreur médicale, etc.) et la date de la consolidation de l’état de santé de la victime, il s’agit de la tierce personne temporaire.

Lorsque l’aide reste nécessaire après la consolidation de l’état de santé de la victime, c’est-à-dire une fois que son état de santé n’est plus susceptible de s’aggraver ou de s’améliorer, on parle de « tierce personne définitive » (ou permanente) qui constitue un poste de préjudice en tant que tel.

Le besoin d’aide humaine est évalué par l’expert judiciaire en fonction de l’évolution de l’état de santé la victime et de la gravité de ses séquelles.

3) Quels étaient les enjeux de cette affaire ?

Dans cette affaire, l’aide humaine avait été apportée en partie par la famille de la victime et en partie par une tierce personne extérieure rémunérée.

L’expert n’avait pas distingué entre ces deux formes d’aide et avait retenu un besoin total d’aide humaine de 22 heures sur 24 durant plusieurs mois.

La victime sollicitait l’indemnisation de la tierce personne temporaire conformément aux conclusions prises par l’expert judiciaire.

La compagnie d’assurance demandait pour sa part aux Juges de limiter l’indemnisation de la tierce personne temporaire, aux seules dépenses que la victime avait effectivement exposées.

4) Quelle a été la décision de la Cour d’appel ?

La Cour d’appel de ROUEN, aux termes d’un arrêt du 15 mars 2023, a limité le montant de l’indemnisation devant revenir à la victime au titre de l’assistance par une tierce personne.

Pour calculer l’indemnisation devant revenir à la victime au titre de ce poste, les juges du fond n’ont pas pris en considération l’évaluation faite par l’expert à hauteur de 22 heures par jour, mais ont retenu les seules dépenses justifiées par la victime au titre de la tierce personne, pour les années 2020 et 2021.

La Cour d’appel a par ailleurs refusé toute indemnisation au titre de l’aide apportée la nuit au motif que la victime ne versait aux débats aucune attestation des membres de sa famille indiquant lui avoir apporté une aide.

Mécontente de cette décision, la victime a formé un pourvoi en cassation.

5) Quelle a été la décision rendue par la Cour de cassation ?

La Cour de cassation a fort logiquement censuré l’arrêt rendu par la Cour d’appel de ROUEN au visa du principe de réparation intégrale des préjudices, sans perte ni profit pour la victime.

Dans le droit fil d’une jurisprudence constante, la Haute Juridiction a rappelé que l’indemnité allouée au titre de l’assistance par une tierce personne ne saurait être réduite en cas d’assistance familiale et qu’elle ne saurait être subordonnée à la justification de dépenses effectives.

En l’espèce, la Cour de cassation a constaté que l’expert judiciaire avait estimé le besoin d’une présence active non médicalisée de 8 heures par jour et d’une présence passive de 14 heures par jour.

Elle a donc estimé que la Cour d’appel ne pouvait pas se contenter d’indemniser les seules dépenses justifiées par des factures au motif qu’aucune attestation des membres de la famille n’avait été communiquée par la victime.

C’est donc en considération des seuls besoins évalués par l’expert (et non des justificatifs des dépenses réellement engagées ou de l’aide apportée) que l’indemnisation de la tierce personne doit s’opérer.

La victime n’a donc pas à justifier de l’aide apportée par sa famille ni de la dépense qu’elle aurait engagée ; la tierce personne doit être indemnisée en fonction de l’évaluation retenue par l’expert au regard des seuls besoins de la victime.

Dans cette affaire, la position de la Cour d’appel est surprenante car la Cour de cassation a déjà, à de très nombreuses reprises, donné une position constante sur ce sujet.

La Haute Juridiction a notamment déjà eu l’occasion de préciser que  » l’évaluation (…) devait se faire au regard de l’expertise médicale et de la justification du besoin et non au regard de la justification de la dépense, afin de ne pas limiter l’indemnisation lorsque la tierce personne est assurée par la famille  » (Voir notamment Cass. Civ. 2ème, 07 mai 2014).

La Cour a par ailleurs rappelé que l’indemnisation au titre de la tierce personne ne saurait être réduite en cas d’aide familiale (Voir notamment Civ. 2ème, 17 décembre 2020).

Nous avions également déjà eu l’occasion de commenter un arrêt de la deuxième Chambre civile du 22 mai 2019 aux termes duquel la Cour de cassation estimait que l’assistance bénévole apportée à la victime par une tierce personne ne réduit pas l’indemnisation de ses préjudices (lien ici).

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