Précisions sur la notion d’accident de la route (Cass. Civ. 2ème 15 février 2024)

indemnisation des victimes d'accident de la circulation postes de préjudices

Par un arrêt rendu le 15 février 2024 et publié au Bulletin (lien ici), la Cour de cassation apporte des précisions sur la notion même d’accident de la route.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 13 avril 2019, une femme, passagère transportée d’un véhicule conduit par l’une de ses amie, est blessée à l’occasion d’une sortie de route de celui-ci.

Il est apparu que l’accident corporel s’est produit alors que la conductrice est volontairement sortie de la chaussée.

La passagère blessée a engagé une action en justice à l’encontre de cette dernière et de son assureur pour obtenir la réparation de son préjudice corporel.

Plus précisément, la victime a saisi le Juge des référés du Tribunal de première instance de NOUMEA et a sollicité la tenue d’une expertise médicale afin d’évaluer ses postes de préjudices ainsi que l’octroi d’une provision à valoir sur l’indemnisation définitive de ses préjudices.

2) Quel est le régime juridique applicable aux accidents de la route ?

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dite « loi BADINTER » (du nom de Robert BADINTER, alors Ministre de la Justice et ayant inspiré la rédaction de cette loi) a créé un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accident de circulation.

Le but premier de cette loi était d’améliorer la situation des victimes d’accidents de la circulation et d’accélérer les procédures d’indemnisation.

Les conditions d’application de la BADINTER sont posées par son article premier :

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

Si les conditions d’application de la loi sont réunies (un accident de la circulation, un véhicule terrestre à moteur et une implication du véhicule), elle seule a vocation à s’appliquer et le recours au droit commun est écarté.

La loi BADINTER est en effet d’application exclusive (Cass. 2ème Civ. 04 mai 1987 – n° 85-17051).

Elle privilégie les victimes « non-conducteurs » (piéton, cyclistes et passagers transportés).

En effet ces victimes seront indemnisées des dommages corporels subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute, sauf si celle-ci est inexcusable.

La situation du conducteur victime est moins favorable dans la mesure où sa faute a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis.

En l’espèce, estimant avoir été victime d’un accident de la route, la passagère transportée, ayant subi un dommage corporel, a donc tout naturellement dirigé son action judiciaire sur le fondement de cette loi du 05 juillet 1985.

3) Quelle est la problématique soulevée par cette affaire ?

Bien que l’article 1er de la loi BADINTER précise que celle-ci ne concerne exclusivement que les « accidents de la circulation », la notion même d’accident n’est pas définie.

La jurisprudence a pu préciser que l’accident était caractérisé en cas de survenance d’un événement imprévu, fortuit.

Dans cette affaire, il est apparu que la conductrice a volontairement dirigé son véhicule hors de la chaussée, ce qui posait alors la question du caractère imprévu de l’accident.

La question se posait donc de savoir si cette circonstance rendait ou non applicable le régime de la loi BADINTER.

Plus précisément, la Cour de cassation était invitée à préciser si l’action volontaire de la conductrice rendait l’accident non fortuit et qu’en conséquence, il ne pouvait s’analyser en un « accident de la circulation » entraînant l’application de la loi du 05 juillet 1985.

4) Quelle a été la solution de la Cour d’appel ?

Il n’a pas échappé à la Cour d’appel de NOUMEA que la conductrice responsable de l’accident avait volontairement dirigé son véhicule en dehors de la chaussée (ce que l’arrêt du 08 juillet 2021 reconnaît).

Mais la Cour a estimé que son action n’avait pas été effectuée avec l’intention d’attenter à la vie de sa passagère.

La Cour d’appel a donc estimé qu’il était en l’espèce possible de retenir la qualification d’« accident de la circulation » quand bien même la conductrice avait volontairement agi pour le provoquer, dès lors qu’elle n’a pas eu l’intention de blesser ou de tuer sa passagère.

L’assureur de la conductrice, désormais tenu d’indemniser la victime, a alors formé un pourvoi en cassation.

5) Quelle a été la solution adoptée par la Cour de cassation ?

Aux termes d’une jurisprudence constante, la Haute juridiction estime que « la loi du 05 juillet 1985 n’est applicable qu’aux seuls accidents de la circulation à l’exclusion des infractions volontaires » (Cass. 2ème Civ. 30 novembre 1994 – n° 93-13.399 & 93-13.485).

La Cour de cassation a déjà pu estimer que la volonté de causer le fait dommageable suffit à faire échec à la qualification d’accident et ainsi, à l’application de la loi BADINTER.

Mais cette volonté de causer le dommage est-elle nécessairement requise pour faire échec à la qualification d’accident de la circulation ?

La simple action volontaire peut-elle suffire ?

En l’espèce, la Haute juridiction a décidé d’interpréter strictement la notion d’accident au sens de la Loi Badinter.

Elle a considéré que ne constitue pas un accident, au sens de ce texte, l’évènement qui, volontairement provoqué par le conducteur ou par un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit.

La position de la Cour de cassation est désormais claire : la volonté de causer le dommage n’est pas requise ; la simple action volontaire suffit à écarter la notion d’accident de la route.

La Cour de cassation considère qu’à partir du moment où le conducteur a volontairement provoqué une collision, celle-ci ne peut être considérée comme un accident.

Il n’est donc pas nécessaire de rechercher si le conducteur ou la conductrice a eu l’intention de blesser quelqu’un.

Cette solution apparaît logique mais elle est sévère pour les victimes car, dans une telle hypothèse, elles ne pourront pas obtenir l’indemnisation de leurs préjudices sur le fondement (plus favorable) de la Loi du 05 juillet 1985.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.