Du calcul du préjudice économique du conjoint et des enfants suite au décès de la victime directe (Cass. Civ. 2ème 12 octobre 2023)

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Aux termes d’un arrêt rendu le 12 octobre 2023 (lien ici), la Cour de cassation rappelle et précise les modalités de calcul du préjudice économique des victimes indirectes en cas de décès de la victime directe.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

En 2012, une femme est décédée au sein du service de réanimation d’un centre hospitalier, au cours de sa prise en charge, le lendemain de son accouchement.

Ledit centre hospitalier ainsi que les deux médecins en charge de cet accouchement ont été reconnus coupables d’homicide involontaire.

Désireux d’obtenir la réparation de ses préjudices ainsi que ceux de ses deux enfants, le mari de la victime a saisi, en son nom personnel et en qualité de représentant légal des deux enfants du couple, la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions.

L’intérêt de cette affaire réside dans les précisions apportées par la Cour de cassation sur le calcul de l’indemnisation du préjudice économique des victimes indirectes.

2) Qu’est-ce que le préjudice économique ?

Il existe beaucoup d’évènements traumatiques susceptibles de causer le décès d’une personne (accident de la route, accident de sport, agression, erreur médicale, accident de la vie, etc.) et, par voie de conséquence, d’engendrer un préjudice économique.

Celui-ci figure parmi les postes de préjudices indemnisables.

Le préjudice patrimonial des proches de la victime est constitué par les pertes de revenus de la victime directe : le décès d’une personne qui travaille engendre pour le conjoint survivant et, le cas échéant pour leurs enfants, un préjudice économique.

L’évaluation de ce préjudice doit se faire in concreto, c’est-à-dire en fonction des revenus réels de la victime au moment de son décès.

S’agissant du conjoint survivant, la réparation du préjudice économique se fait en partant du principe que les époux/concubins/partenaires auraient vécu ensemble jusqu’à la fin de leur vie.

Le conjoint survivant perçoit donc une indemnisation capitalisée sur l’espérance de vie des époux.

Quant aux enfants, leur préjudice économique est calculé jusqu’à l’âge où ils deviennent autonomes (par exemple, en cas de poursuite d’études, jusqu’à 25 ans).

Si, en théorie, les choses paraissent simples, elles sont en pratique parfois compliquées, notamment en cas de présence d’une rente perçue par les victimes indirectes.

3) Quelle est l’incidence de la rente sur le calcul du préjudice économique des victimes indirectes ?

Le préjudice économique du conjoint survivant et des enfants est calculé, de façon mathématique, sur la base du salaire de la victime décédée.

Parfois, il arrive qu’un assureur, un employeur ou un organisme de sécurité sociale, verse une rente ou un capital décès au conjoint survivant ou aux enfants de la victime décédée.

Dans cette hypothèse, dans la mesure où les victimes indirectes ont reçu, de la part d’un organisme, une somme destinée à compenser leur préjudice économique, la somme perçue doit se déduire de celle qui sera mise à la charge de la personne tenue d’indemniser le préjudice des victimes indirectes.

En effet, c’est le principe de réparation intégrale des préjudices qui prévaut en droit français : tout le préjudice doit être indemnisé mais rien que le préjudice (ce qui exclut en principe la double indemnisation d’un même poste de préjudice).

Si, par exemple, le préjudice économique d’un enfant a été pris en charge à hauteur de 60 % par le biais d’une rente versée par la sécurité sociale, le principe de réparation intégrale implique alors que la personne tenue d’indemniser le préjudice économique de l’enfant ne devra lui verser que les 40 % restants.

En l’espèce, l’assureur de l’employeur de la femme décédée avait directement versé aux membres de la famille diverses sommes au titre de capitaux décès.

Il était donc nécessaire de déduire ces sommes de l’indemnisation finale revenant aux victimes indirectes.

Si, sur le principe, ce raisonnement n’est pas contestable, les modalités de calcul ont, dans cette affaire, fait l’objet d’hésitations.

4) Quelle a été la décision rendue par la Cour d’appel ?

Insatisfait de la décision rendue par la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions, l’époux de la défunte a interjeté appel.

La Cour d’appel de PARIS a rendu sa décision le 30 septembre 2021

Cette juridiction a, dans un premier temps, procédé au calcul du préjudice économique du foyer, ce qui constitue la méthode habituellement retenue.

Les Juges ont donc pris en compte le cumul des revenus des deux époux desquels ils ont retranché les revenus de l’époux (qui a continué à travailler après le décès de sa femme) ainsi qu’une part d’auto-consommation de la défunte (évaluée en l’espèce 20 %).

Devaient ensuite être déterminés :

  • Le préjudice économique des enfants entre le jour du décès de leur mère et le jour où ils seront financièrement autonomes ;
  • Le préjudice économique du conjoint survivant qui correspond au préjudice économique du foyer duquel doit être déduit le préjudice économique des enfants.

La Cour d’appel a procédé à ces calculs et a imputé les capitaux décès sur les sommes dues aux enfants avant de les déduire des sommes devant être versées au conjoint survivant.

La Cour d’appel a ainsi fixé à la somme de 737.427,87 € le préjudice économique de l’époux, correspondant à la perte de revenus du foyer capitalisée de façon viagère, déduction faite des sommes revenant à ses enfants au titre de leur préjudice économique, après déduction du capital décès perçu par chacune des filles de la victime directe.

Précisons qu’en l’espèce, c’est le Fonds de garantie des victimes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), partie à la procédure devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions, qui a formé le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS.

5) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?

La Cour de cassation a considéré que la méthode d’évaluation du préjudice économique du conjoint survivant imposait de déduire de la perte de revenus globale du foyer, capitalisée de façon viagère, le préjudice économique des enfants avant imputation des capitaux décès.

Cette différence de méthode a un impact évident sur le calcul du préjudice économique du conjoint survivant.

En effet, si la Cour d’appel avait retenu que la somme de 737.427,87 € devait revenir à l’époux de la victime directe, la Cour de cassation a pour sa part fixé l’indemnisation du préjudice économique du conjoint survivant à la somme de 593.015,69 €.

Il en ressort qu’en fonction du moment où, dans le calcul du préjudice économique, il est procédé à l’imputation des capitaux décès, les résultats obtenus sont très différents.

Cette décision clarifie la méthodologie du calcul du préjudice économique des victimes indirectes.

6) Comment doit être calculé le préjudice économique des victimes indirectes ?

Il convient, dans un premier temps, de déterminer le revenu du foyer avant le décès de la victime directe.

Dans un deuxième temps, il faut déduire de ce revenu global du foyer, d’une part, la part d’autoconsommation de la victime directe et, d’autre part, le revenu du conjoint survivant, ce qui permet de déterminer la perte économique du foyer.

Cette perte annuelle doit ensuite être capitalisée sur la base de l’espérance de vie des époux.

Une fois la perte économique du foyer déterminée, Il convient ensuite d’évaluer le préjudice économique des enfants en considération de la date à laquelle ils bénéficieront d’une autonomie financière (par exemple 15 % de la perte annuelle du foyer jusqu’à la fin de leurs études).

Le préjudice économique du conjoint survivant est alors calculé par le préjudice du foyer après déduction du préjudice économique des enfants.

Enfin, pour chaque victime indirecte, il faut déduire de son propre préjudice économique les prestations versées au titre des capitaux décès par les assureurs, employeurs ou organismes de sécurité sociale.

 

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