L’indemnisation du préjudice économique d’une victime étudiante (Cass. Civ. 2ème, 16 septembre 2021)

victime accident de la circulation perte de chance

Par un arrêt en date du 16 septembre 2021 (lien ici), la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs d’une jeune victime, alors étudiante au moment de l’évènement traumatique qu’elle a subi.

1) Quels sont les faits de l’espèce ?

Dans la nuit du 04 au 05 août 2011, une jeune femme, alors étudiante en 2ème année de licence de psychologique, a été victime d’un grave accident de la route alors qu’elle était la passagère transportée d’un véhicule.

En raison de la gravité des séquelles de cet accident de la circulation, cette jeune femme a notamment été déclarée inapte à toute activité professionnelle.

Elle n’a donc pas pu poursuivre le cursus universitaire qu’elle avait entamé, ni embrasser la profession de psychologue clinicienne à laquelle ses études la préparaient.

Cette jeune victime a initié une procédure judiciaire aux fins d’indemnisation de ses préjudices à l’encontre de l’assureur du véhicule au sein duquel elle se trouvait au moment de l’accident corporel ; procédure à l’occasion de laquelle a notamment été débattue la question de son préjudice professionnel.

2) Quel a été le parcours procédural de l’affaire ?

Devant la Cour d’appel d’AGEN, la victime sollicitait l’indemnisation intégrale de sa perte de gains professionnels futurs, qu’elle avait calculée à la hauteur de la rémunération qu’elle aurait perçue si elle avait pu exercer la profession de psychologue clinicienne à laquelle elle se destinait.

Elle estimait en effet que ses études avaient été interrompues par l’évènement traumatique qui l’avait rendue inapte à tout emploi et qu’en vertu du principe de réparation intégrale des préjudices, elle pouvait solliciter l’indemnisation de la perte des gains professionnels futurs correspondants à ceux qu’elle aurait perçus si l’accident de la route n’était pas intervenu.

La Cour d’appel d’AGEN, dans un arrêt du 14 novembre 2019, a condamné l’assureur à lui payer une rente viagère annuelle indexée selon la loi du 05 juillet 1985 (dite « loi BADINTER ») d’un montant initial de 17.280 €, payable par trimestre au montant actuel de 4.320 € à compter du 1er juin 2016, au titre des pertes de gains professionnels futurs.

Le calcul réalisé par la Cour d’appel ne retenait pas une indemnisation intégrale des pertes de gains professionnels futurs de la victime étudiante mais correspondait à l’indemnisation d’un « préjudice indemnisable à hauteur de 60 % de chances d’accéder à un emploi rémunéré au niveau du salaire revendiqué dans la profession de psychologue clinicienne ».

Autrement dit, la Cour d’appel n’a retenu qu’une perte de chance.

Insatisfaite de la décision, la jeune étudiante a formé un pourvoi en cassation.

3) Qu’est-ce que le poste de préjudice « perte de gains professionnels futurs » ?

Aux termes de la Nomenclature DINTILHAC, les pertes de gains professionnels futurs constituent un poste de préjudice qui concerne le préjudice économique de la victime directe et qui correspond à l’indemnisation, pour cette victime, de la perte ou de la diminution de ses revenus, consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle, à la suite du dommage.

Il s’agit d’indemniser une invalidité spécifique partielle ou totale qui entraîne une perte ou une diminution directe des revenus professionnels futurs à compter de la date de consolidation.

Cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir, soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l’obligation pour celle-ci d’exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé.

Ce préjudice est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle.

Pour les jeunes victimes ne percevant pas, à la date de l’évènement traumatique (accident de la route, erreur médicale, agression, accident de la vie, accident de sport, etc.), de gains professionnels, ce poste de préjudice doit prendre en compte, pour l’avenir, la privation de ressources professionnelles engendrée par le dommage, en se référant à une indemnisation par estimation.

4) Qu’est-ce qu’une « perte de chance » ?

En droit français, un préjudice n’est réparable que s’il est personnel, direct, actuel, certain et s’il lèse un intérêt légitime.

S’il n’est pas possible d’indemniser un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît comme la prolongation certaine et directe d’un état de chose actuel et susceptible d’estimation immédiate.

La perte de chance est une notion de droit civil d’origine prétorienne, qui ne repose sur aucune définition législative.

La jurisprudence estime que « la perte de chance implique seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain » (Cass. 1ère Civ., 07 avril 2016, n° 15-14.888).

Elle implique un préjudice caractérisé par la privation d’un gain probable, ou la survenance d’une perte qui aurait pu être évitée.

La notion de perte de chance consiste ainsi à considérer que la victime du préjudice disposait d’une chance d’obtenir un gain (alors même qu’il n’est pas certain que ce gain ait pu être obtenu).

En conséquence, la faute de celui qui a réduit cette chance à néant doit être sanctionnée par la responsabilité civile, délictuelle ou contractuelle selon le cas.

5) Quel problème juridique était soumis à la Cour de cassation ?

La Cour de cassation était amenée à se prononcer sur les modalités d’indemnisation de la perte de chance.

La question était de savoir si l’indemnisation d’une perte de chance devait être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, ou bien si la réparation devait être mesurée à la chance perdue.

6) Quelle est la solution retenue par la Cour de cassation ?

Sans surprise, la Cour de cassation vient réaffirmer que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ».

Elle considère que s’il est certain que la victime « se trouve, en raison de l’accident, privée de toute possibilité d’exercer une activité professionnelle, ce préjudice en ce qu’il repose sur une analyse probabiliste de ce qu’aurait pu être la vie professionnelle de la victime et son évolution en l’absence du fait dommageable, consiste en la perte d’une chance dont l’appréciation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ».

La Haute Juridiction rejette ainsi le pourvoi de la victime et valide le raisonnement de la Cour d’appel d’AGEN qui, par son pouvoir souverain d’appréciation, avait relevé qu’à la date de l’accident de la circulation dont elle a été victime, la jeune femme, qui était étudiante, ne percevait aucun revenu et qui a pu estimer « au titre du préjudice de perte de gains professionnels futurs, qu’il résultait du niveau scolaire de la victime, entrant à l’âge de 20 ans dans sa deuxième année d’études supérieures, un préjudice indemnisable à hauteur de 60 % de chances d’accéder à un emploi rémunéré au niveau du salaire revendiqué dans la profession de psychologue clinicienne, à laquelle ses études la préparaient ».

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence constante qui estime que la perte de chance ne permet pas d’obtenir la réparation du gain espéré, car la réparation doit être pondérée par le degré de probabilité du gain escompté (Voir notamment Cass. civ. 1ère., 16 juillet 1998, n° 96-15.380).

Il en résulte qu’une jeune victime qui, compte-tenu de son âge, n’a jamais pu travailler, sera bien évidemment indemnisée de son préjudice professionnel.

La Cour de cassation opère toutefois une distinction entre une victime ayant déjà intégré un cursus d’études ou un projet professionnel (qui sera indemnisée sur la base d’une perte de chance) et de jeune enfants interdits de toute possibilité d’activité professionnelle pour l’avenir (qui seront généralement indemnisés de leur préjudice économique sur la base du salaire moyen en France établi par l’INSEE même si, pour ces derniers, le milieu socio culturel dans lequel ils évoluent pourra être pris en considération pour ajuster le revenu de référence).

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