L’indemnisation de la tierce personne n’est pas limitée aux seuls besoins vitaux de la victime (Cass. Civ. 2ème, 06 juillet 2023)

Accident de la route indemnisation tierce personne temporaire poste de préjudice

Aux termes d’un arrêt rendu le 06 juillet 2023 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle que l’indemnisation de la tierce personne comprend l’assistance de la victime dans tous les actes de la vie ordinaire.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 24 mai 2015, la passagère d’une motocyclette a été grièvement blessée dans un accident de la route impliquant un véhicule terrestre à moteur.

Souhaitant obtenir la réparation de son préjudice corporel, la victime a assigné l’assureur du véhicule impliqué dans cet accident de la circulation.

La principale difficulté de cette affaire concerne le périmètre de l’indemnisation du poste de préjudice indemnisant l’assistance de la victime par une tierce personne.

2) Qu’est-ce que l’assistance par une tierce personne ?

Ce poste de préjudice vise à indemniser le besoin de la victime, du fait de son handicap, d’être assistée de manière définitive par une tierce personne.

Il s’agit donc d’indemniser l’aide humaine dont a besoin la victime en raison de la perte ou de la diminution de sa fonctionnalité, de son autonomie et ce, en raison de l’évènement traumatique qu’elle a subi (accident de la route, accident de sport, accident de la vie, erreur médicale, agression, etc.).

L’aide apportée peut être passive (par exemple pour surveiller la victime) ou active (par exemple pour effectuer ses courses, son ménage ou sa toilette).

C’est l’expert judiciaire qui, dans son rapport d’expertise, doit déterminer avec précision la nature du besoin (aide au ménage, aux courses, aux actes de la vie courante, surveillance nocturne, etc.), sa fréquence ainsi que la qualité de la tierce personne qui peut être un professionnel spécialisé (infirmière, kinésithérapeute, etc.).

L’aide humaine peut également être apportée par les proches de la victime, même à titre gratuit, sans que cela n’ait d’incidence sur le principe ou le montant de l’indemnisation de ce poste de préjudice.

Celui-ci implique souvent des enjeux financiers très importants qui nécessitent d’être extrêmement vigilant.

L’assistance de la victime par un médecin-conseil et par un avocat spécialisé en réparation du préjudice corporel tout au long du processus indemnitaire (notamment pendant l’expertise médicale) s’avère souvent primordial.

L’assistance d’une tierce personne pendant la période entre l’accident corporel et la consolidation de l’état de santé de la victime est indemnisée au titre du poste de préjudice « Frais divers ».

Après la date de consolidation, l’aide humaine est indemnisée dans le cadre d’un poste de préjudice spécifique appelé « tierce personne définitive ».

3) Quelle a été la décision rendue par la Cour d’appel ?

La Cour d’appel de GRENOBLE, par un arrêt en date du 31 mai 2022, a limité l’indemnisation de la victime au titre de l’assistance par une tierce personne.

La Cour d’appel l’a également déboutée de sa demande d’indemnisation pour ce poste de préjudice après une intervention chirurgicale qu’elle a subie le 23 novembre 2016 et également après la date de consolidation fixée au 18 janvier 2017.

La Cour a considéré que la victime avait elle-même déclaré aux experts qu’elle était en mesure d’effectuer, depuis le 23 novembre 2016, les actes « ordinaires » de la vie quotidienne et qu’elle n’était pas dans l’impossibilité de réaliser « les tâches ménagères légères ».

4) Quel est l’enjeu de cette affaire ?

Légitimement insatisfaite de la décision de la Cour d’appel de GRENOBLE, la victime a décidé de la contester et a formé un pourvoi en cassation.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si l’indemnisation au titre de la tierce personne pouvait être due pour une victime en capacité d’effectuer les actes « ordinaires » de la vie quotidienne et les « tâches ménagères légères ».

5) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?

Sans surprise, la Cour de cassation, conformément à une jurisprudence constante, a censuré la décision de la Cour d’appel en considérant que les Juges du fond ne pouvaient pas refuser l’indemnisation de la victime au titre de la tierce personne alors que cette dernière était dans l’incapacité de réaliser l’ensemble des actes de la vie quotidienne.

La Cour de cassation a, en premier lieu, rappelé le principe de réparation intégrale des préjudices, sans perte ni profit pour la victime (qui signifie en substance que la victime a le droit à la réparation de tout son préjudice mais rien que son préjudice).

La Haute juridiction a ensuite exposé qu’il résultait de ce principe que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limitait pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnisait plus globalement la perte d’autonomie dont elle souffre, et qui la place dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne.

Cette victime ne pouvait en effet assurer seule que les actes « ordinaires » et « les tâches ménagères légères », ce qui ne correspond pas à l’ensemble des actes de la vie quotidienne.

Elle avait donc un besoin effectif d’une aide pour certains actes de la vie quotidienne ; besoin qui devait être indemnisé.

6) Quels sont les enjeux de l’indemnisation de la tierce personne ?

L’assistance par tierce personne est un poste de préjudice qui implique des enjeux très importants qu’ils soient humains ou économiques.

Les payeurs (compagnies d’assurances, fonds de garantie) tentent encore et encore de limiter ce poste de préjudice aux seuls besoins vitaux des victimes.

Mais le principe de réparation intégrale des préjudices s’y oppose et c’est en vertu de ce principe que toute aide nécessaire, fût-elle ponctuelle, doit être indemnisée.

Il peut s’agir par exemple d’une aide pour effectuer le « gros ménage » ou les « grosses courses », pour la tonte de la pelouse, la taille des haies ou bien encore effectuer pour le ménage en hauteur ou sous les meubles.

La solution de la Cour de cassation qui, rappelons-le, s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence bien établie, est pertinente dans la mesure où l’indemnisation de la tierce personne ne doit pas se cantonner aux seuls besoins vitaux.

Elle a, au contraire, vocation à suppléer la perte d’autonomie de la victime et à restaurer sa dignité.

La Cour de cassation a déjà eu maintes fois l’occasion d’affirmer que « le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne » (Cass. Civ. 2ème, 08 février 2023, n° 21-24991, Civ. 2ème, 10 novembre 2021, n° 19-10058).

Retenant une conception très large de ce poste de préjudice, la Haute juridiction a également posé le principe selon lequel « l’assistance par une tierce personne doit permettre à la victime non seulement de suppléer sa perte d’autonomie mais également de restaurer sa dignité » (Cass. Civ 2ème, 23 mai 2019, n° 18-16.651 – Voir ici notre commentaire de cette décision).

Elle a également estimé que l’indemnisation de la tierce personne temporaire pouvait intervenir durant l’hospitalisation de la victime (Cass. Civ. 2ème 10 novembre 2021, n° 19-10.058 – Voir ici notre commentaire de cette décision).

Dans cette dernière affaire, les besoins d’assistance concernaient la garde des enfants de la victime pendant les périodes au cours desquelles elle aurait dû exercer ses droits de visite et d’hébergement, l’accès à son courrier, la gestion de son linge personnel et la réalisation des démarches administratives qu’il n’était pas en mesure d’accomplir seul).

Cette large appréciation du poste de préjudice relatif à l’assistance par tierce personne, que nous ne pouvons que saluer, s’inscrit par ailleurs dans l’esprit de la Nomenclature Dintilhac selon laquelle ce poste vise « à indemniser le coût pour la victime de la présence (…) nécessaire d’une tierce personne à ses côtés pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie » (page n° 34).

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.