Revirement de jurisprudence en matière d’imputation de la pension d’invalidité (Cass. Civ. 2ème 06 juillet 2023)

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Par un arrêt rendu le 06 juillet 2023 et publié au Bulletin (lien ici), la Cour de cassation a aligné le régime de la pension d’invalidité sur celui de la rente accident du travail en décidant qu’elle ne devait plus s’imputer sur le poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent ».

Rappelons que l’Assemblée Plénière de la Haute Juridiction avait, par deux décisions en date du 23 janvier 2023 (liens ici et ici), opéré un important revirement de jurisprudence en matière d’imputation de la rente « accident du travail » en considérant que celle-ci, ne réparant pas le poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent », ne devait plus s’imputer sur celui-ci (voir notre commentaire de ces arrêts ici).

La décision dont il s’agit en l’espèce était donc annoncée et attendue.

1) Quels sont les faits et la procédure à l’origine de cette décision ?

Le 15 novembre 2015, une personne, qui circulait sans ceinture de sécurité et sous l’empire d’un état alcoolique, est victime d’un accident de la route.

Le véhicule terrestre à moteur conduit par la victime était assuré auprès de la compagnie PACIFICA et celui impliqué dans cet accident auprès de la compagnie MAIF.

Le 22 février 2017, une transaction a été conclue entre la victime et la société MAIF et a fixé, compte tenu des fautes contributives de la victime (absence du port de la ceinture de sécurité et conduite sous l’empire d’un état alcoolique), le droit à indemnisation de cette dernière à 75 %.

Finalement, la victime (et son épouse) ont assigné l’assureur MAIF en indemnisation de leurs préjudices devant le Tribunal de grande instance (devenu « Tribunal judiciaire » depuis lors).

La Cour d’appel de DOUAI a rendu un arrêt le 09 septembre 2021.

Cette décision a été contestée par la victime et son épouse qui ont décidé de se pourvoir en cassation.

Parmi les motifs du pourvoi, nous n’examinerons ici que celui relatif à l’imputation de la pension d’invalidité perçue par la victime en suite de cet accident corporel, sur le poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent ».

2) Qu’est-ce que la pension d’invalidité ?

La pension d’invalidité est un revenu de remplacement accordé à titre temporaire.

Elle compense la perte de salaire résultant d’une réduction égale ou supérieure à 2/3 de la capacité de travail ou de gain, due à la maladie ou à un accident d’origine non professionnelle.

Cette pension peut être révisée, suspendue ou supprimée en fonction d’événements tels que l’évolution de l’état de santé de son bénéficiaire, la reprise d’une activité professionnelle, etc.

À partir de l’âge légal de départ à la retraite, la pension d’invalidité est remplacée par la pension vieillesse, si son bénéficiaire n’exerce pas d’activité professionnelle.

La rente accident du travail est, quant à elle, allouée lorsque l’accident ou la maladie a une origine professionnelle.

3) Qu’est-ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs ?

Les tiers payeurs sont des organismes qui versent à la victime des prestations en nature (telles que des frais médicaux, des frais pharmaceutiques ou des frais d’hospitalisation) ou des prestations en espèces (telles que des indemnités journalières, une rente accident du travail ou une pension d’invalidité).

Ces tiers payeurs peuvent ensuite se retourner contre la personne responsable de l’évènement qui a donné lieu au versement de ces prestations.

Ainsi, si l’organisme de sécurité sociale a engagé des frais médicaux et/ou a payé une pension à une victime d’un évènement traumatique (accident de la circulation, agression, erreur médicale, accident de sport, etc.), il peut faire supporter la charge de ces dépenses à la personne responsable de cet évènement qui a entraîné les blessures à l’origine des prestations payées.

C’est ce qu’on appelle le recours subrogatoire des tiers payeurs.

4) Qu’est-ce que l’imputation d’une rente ou d’une pension ?

Pendant longtemps, la Cour de cassation a considéré que la rente accident du travail ou la pension d’invalidité devaient s’imputer sur les postes de préjudice « perte de gains professionnels futurs », « incidence professionnelle » et « déficit fonctionnel permanent » de la victime.

La Cour estimait que la rente ou la pension versée à la victime indemnisait ces trois postes de préjudice.

Cette solution était rendue au regard du principe de réparation intégrale des préjudices qui implique que la victime doit être indemnisée de son entier préjudice, mais seulement de son préjudice.

Le principe de réparation intégrale ne peut donc pas aboutir à ce que la victime perçoive une double indemnisation d’un même préjudice.

Ainsi, au moment de la liquidation des préjudices de la victime, il convenait donc de déduire des postes « perte de gains professionnels futurs », « incidence professionnelle » le montant de la rente ou de la pension versée par l’organisme de sécurité sociale et, en cas de reliquat, du poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent ».

Prenons l’exemple d’une victime dont les pertes de gains professionnels futurs s’élevaient à 50.000 €, dont l’incidence professionnelle était chiffrée à la somme de 30.000 € et dont le déficit fonctionnel permanent était fixé à celle de 40.000 € (total des 3 postes : 120.000 €).

Imaginons que cette victime ait perçu de son organisme de sécurité sociale une rente ou une pension d’un montant capitalisé de 100.000 €.

Cette rente était alors imputée sur la perte de gains professionnels futurs pour 50.000 €, sur son incidence professionnelle pour 30.000 € et sur le déficit fonctionnel permanent pour la somme de 20.000 € (total de l’imputation : 100.000 €).

Dans cet exemple, la victime ne percevait donc, pour les 3 postes de préjudice précités, « que » la somme de 20.000 €.

Mais, dans le même cas de figure, si le montant de la rente ou de la pension servie à la victime était d’un montant capitalisé de 120.000 €, cette rente ou cette pension s’imputait intégralement sur ces 3 postes de préjudice et la victime ne percevait aucun reliquat.

5) Quel est le sort de la rente accident du travail ?

Comme indiqué précédemment, aux termes de deux arrêts rendus le 20 janvier 2023 par son Assemblée Plénière, la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence en considérant que si la rente accident du travail pouvait effectivement s’imputer sur les postes de préjudices « pertes de gains professionnels futurs » et « incidence professionnelle » de la victime, elle ne devait plus s’imputer sur le poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent ».

La Cour avait constaté que la rente accident du travail avait vocation à indemniser la victime des conséquences de l’accident subies dans sa sphère professionnelle, de sorte qu’il était permis d’imputer la rente sur les pertes de gains professionnels futurs et l’incidence professionnelle.

En revanche, la Cour avait constaté que le déficit fonctionnel permanent ne concernait pas l’indemnisation des conséquences d’un accident dans la sphère professionnelle de la victime.

Le déficit fonctionnel permanent correspond en effet à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, aux phénomènes douloureux et aux répercussions psychologiques liées à l’atteinte séquellaire et à leurs conséquences dans la vie quotidienne de la victime.

Depuis le mois de janvier 2023, le reliquat de la rente accident du travail n’était donc plus imputée sur le poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent », au grand soulagement des victimes.

Depuis lors, la Cour de cassation devait se prononcer sur le sort de la pension d’invalidité.

6) Quel est désormais le sort de la pension d’invalidité ?

Dans son arrêt du 06 juillet 2023, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que le recours des tiers payeurs s’exerce poste par poste, sur les seules indemnités qui réparent des préjudices pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel.

Elle précise ensuite que la pension d’invalidité est versée aux personnes dont la capacité de travail ou de gain est réduite et qui sont dans l’impossibilité de se procurer, par une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région, par des travailleurs de la même catégorie, dans leur profession avant l’interruption de travail.

La Haute juridiction expose que depuis 2013, cette pension indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent, pour éviter une double indemnisation de la victime, ce qui se conciliait parfaitement avec les modalités de calcul de la pension.

Elle évoque enfin le revirement de jurisprudence qu’elle a opéré en janvier 2023 concernant la rente accident du travail et précise que le calcul de la pension d’invalidité, comme celui de la rente accident du travail, s’effectue sur une base forfaitaire.

La Cour en déduit qu’une distinction entre les modalités de recours des tiers payeurs selon qu’ils paient une rente ou une pension ne se justifie plus.

Le sort de la pension d’invalidité est donc désormais aligné sur celui de la rente accident du travail.

La pension d’invalidité ne s’impute plus que sur les postes de préjudice « pertes de gains professionnels futurs » et sur « incidence professionnelle » de la victime.

Elle ne s’impute plus sur le poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent ».

Cette solution, très attendue et favorable aux victimes, se justifie par le fait que le déficit fonctionnel permanent est un poste de préjudice qui indemnise la victime des conséquences de l’évènement traumatique dans sa sphère personnelle et non sans sa sphère professionnelle.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.