Indemnisation du conjoint survivant : Précisions sur les modalités de calcul du préjudice économique (Cass. Civ. 2ème, 16 septembre 2021)

Préjudice économique du conjoint survivant

Par un arrêt en date du 16 septembre 2021 (lien ici), publié au bulletin, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation juge que la pension de réversion versée à la veuve de la victime, du chef d’un premier conjoint, et suspendue pendant la durée du second mariage, ne doit pas être prise en compte dans le calcul du préjudice économique de cette dernière.

 1) Qu’est-ce que le préjudice économique ?

Il n’existe ni définition légale, ni définition doctrinale du préjudice économique.

Il est caractérisé par une atteinte patrimoniale subie par les ayants droit d’une victime directe et résultant, le plus souvent, du décès de celle-ci.

Lorsqu’une personne décède des suites d’un évènement traumatique (accident de la route, erreur médicale, agression, accident de la vie, accident de sport, etc.) mettant en cause la responsabilité d’un tiers, les proches du défunt (principalement le conjoint survivant et les enfants) avec lesquels il existait une « communauté de vie économique » peuvent être indemnisés des conséquences pécuniaires résultant du décès.

L’évaluation de ce préjudice économique consiste à rechercher la perte annuelle de revenus pour les survivants et à la répartir entre eux, en fonction de la durée pendant laquelle ils pourraient normalement y prétendre.

2) Qu’est-ce que la pension de réversion ?

La pension de réversion constitue une aide versée, sous conditions, au conjoint survivant du couple afin de lui garantir un niveau de vie correct.

Elle correspond à une fraction de la pension principale dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier le conjoint décédé.

Les modalités d’attribution de cette pension, versée par tous les régimes de retraite, évoluent très fréquemment.

3) Quels sont les faits de l’espèce ?

Dans la nuit du 16 août 2017, un homme, marin pêcheur, est décédé à la suite de l’abordage de son navire par un cargo.

Le capitaine et le second capitaine de ce cargo ont été déclarés coupable des délits d’homicide involontaire, de fuite et d’omission de porter secours.

Ils ont, par ailleurs, été jugés entièrement responsables des conséquences dommageables de ces délits et, à ce titre, condamnés à indemniser l’épouse du défunt des préjudices résultant du décès de ce dernier.

4) Quel a été le parcours procédural de l’affaire ?

La veuve a saisi une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices de la part du Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI).

Il convient de préciser qu’avant d’épouser la victime de l’abordage, sa veuve (conjoint survivant), avait déjà connu le décès d’un premier conjoint, pour lequel elle percevait une pension de réversion.

Cette pension avait été suspendue pendant la durée du mariage avec son second conjoint, puis versée à nouveau après le décès de celui-ci.

Par ailleurs, le décès de son second conjoint lui avait également permis, à ce titre, de percevoir une pension de réversion.

Postérieurement au décès de son second conjoint, la veuve de celui-ci percevait donc 2 pensions de réversion (celle versée au titre du décès de son premier conjoint, qui avait été suspendue pendant le mariage avec le second conjoint et celle versée au titre du décès de son second conjoint).

Probablement insatisfaite du montant de l’indemnisation qui lui avait été accordée par la CIVI, elle a interjeté appel de la décision rendue.

La Cour d’appel de RENNES, par un arrêt du 15 janvier 2020, avait attribué à la veuve une somme de 102.642,90 € au titre du préjudice économique résultant du décès de son (second) époux.

Pour parvenir à ce montant, la Cour d’appel de RENNES a notamment déduit des revenus du foyer, la pension de réversion versée au titre du décès de son premier conjoint (suspendue pendant la durée du mariage de la veuve et de son second époux, puis à nouveau versée postérieurement au décès de ce dernier).

Mécontente de cette décision, la veuve a initié un pourvoi en cassation.

5) Quel problème juridique était soumis à la Cour de cassation ?

La problématique déférée à la Haute juridiction était relative au mode de calcul du préjudice économique du conjoint survivant.

Plus précisément, il était demandé à la Cour de cassation, pour déterminer le montant de ce préjudice économique, s’il fallait ou non prendre en compte le montant de la pension de réversion versée à la veuve en raison du décès de son premier époux.

6) Quelle méthode d’évaluation du préjudice économique a été retenue par la Cour de cassation ?

Aux termes de son arrêt du 16 septembre 2021, la Cour de cassation rappelle tout d’abord, au visa de l’article 706-3 du Code de procédure pénale, la méthode de calcul du préjudice économique, déjà préalablement retenue par elle dans d’autres décisions (voir notamment : Cass. Civ. 2ème, 07 février 2019, n° 18-13.354) :

« (…) en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l’ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant pour élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe, en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint, le partenaire d’un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant (…) ».

La Haute Juridiction précise ensuite que « Pour déterminer le montant de ces derniers, seuls doivent être pris en considération les revenus perçus par le conjoint survivant antérieurement au décès et maintenus après celui-ci, ainsi que tout nouveau revenu qui est la conséquence directe et nécessaire du décès ».

La Cour de cassation énonce également, au visa de l’article 706-9 du Code de procédure pénale, que « la commission d’indemnisation des victimes d’infractions tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime au titre de la réparation de son préjudice, des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs au titre du même préjudice ».

Ayant rappelé ces principes, la Haute Juridiction estime que «  la circonstance qu’après le décès du dernier conjoint ou concubin, le survivant perçoive, du chef d’un précédent conjoint ou concubin, une pension de réversion, dont le versement, suspendu à la suite du remariage, a repris après le décès, n’est pas de nature à diminuer le montant de la réparation du préjudice économique subi ».

La Cour de cassation estime donc que la pension versée à la veuve en raison du décès de son premier époux ne constitue pas un « revenu du foyer » (puisqu’elle n’en bénéficiait pas pendant le second mariage) et qu’elle n’est pas « une conséquence directe et nécessaire du décès » (de son second époux).

C’est d’ailleurs pour cette raison que la décision est également rendue au visa du principe de la réparation intégrale du préjudice qui implique, rappelons-le, que le responsable d’un dommage indemnise tout le dommage et uniquement le dommage, sans qu’il n’en résulte ni appauvrissement, ni enrichissement pour la victime.

En revanche, la pension de réversion servie en raison du décès du second époux doit, elle, bien être prise en compte dans les revenus du conjoint survivant pour le calcul de son préjudice économique.

La première pension de réversion n’a en effet aucun caractère « indemnitaire » contrairement à la seconde puisque le lien de causalité entre le versement de cette seconde pension et le décès de la victime directe est caractérisé.

Une modification de la situation financière d’une victime indirecte n’ayant aucun lien avec le décès de la victime directe ne peut donc avoir aucune incidence sur le calcul du préjudice économique.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de RENNES est ainsi censuré s’agissant du montant accordé à la veuve au titre de son préjudice économique.

Il convient de saluer cette décision qui s’inscrit dans le droit fil de décisions antérieures aux termes desquelles la Haute Juridiction avait déjà eu l’occasion de préciser que les Juges du fond doivent prendre en considération les nouveaux revenus, si et seulement s’ils sont la conséquence directe et nécessaire du décès de la victime (voir notamment : Cass. Civ. 2ème, 12 février 2009, n° 08-12.706).

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