Chute sur le sol glissant d’une discothèque : qui est responsable ? (CA Aix-en-Provence 13 février 2025)

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Aux termes d’un arrêt rendu le 13 février 2025 (lien ici), la chambre 1-6 de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a été amenée à se prononcer sur la responsabilité de l’exploitant d’une discothèque à la suite de la chute d’une cliente au sein de l’établissement.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire et la procédure diligentée ?

Le 25 juin 2015, une jeune femme a chuté dans une discothèque et a été grièvement blessée.

A la suite de cet accident corporel, elle a notamment subi une fracture fermée de la malléole externe de la cheville droite.

Souhaitant obtenir l’indemnisation de ses préjudices corporels, la victime a fait délivrer une assignation à l’assureur de la discothèque.

Elle a, dans un premier temps, saisi le Juge des référés du Tribunal de grande instance (devenu Tribunal judiciaire) de Marseille d’une demande d’expertise médicale destinée à recenser et évaluer ses différents postes de préjudices ainsi qu’une demande de provision à valoir sur son indemnisation définitive.

Par ordonnance du 21 novembre 2016, le Juge des référés a fait droit à sa demande d’expertise mais a débouté la victime de sa demande de provision.

L’expert judiciaire a déposé son rapport d’expertise un an plus tard et a caractérisé l’existence de plusieurs postes de préjudices (déficit fonctionnel temporaire, déficit fonctionnel permanent, souffrances endurées, préjudice esthétique permanent et préjudice d’agrément).

Sur la base de ce rapport d’expertise, la victime a ensuite assigné l’assureur de la discothèque devant le Tribunal de grande instance de Marseille, en liquidation de ses préjudices.

Suivant jugement en date du 14 octobre 2022, le Tribunal judiciaire de Marseille a débouté la demanderesse de l’intégralité de ses demandes ; décision dont elle a régulièrement interjeté appel.

2) Quels fondements juridiques la victime a-t-elle mis en avant pour obtenir gain de cause  ?

Dans cette affaire, la victime a engagé une procédure directement à l’encontre de l’assureur de la discothèque pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices corporels.

Elle a agi, à titre principal, sur le fondement de l’obligation contractuelle de sécurité relevant de la responsabilité contractuelle.

L’obligation contractuelle de sécurité constitue une obligation accessoire au contrat, par laquelle un professionnel s’engage à assurer la sécurité physique – et parfois morale – de son cocontractant pendant l’exécution du contrat.

Elle est fondée sur l’article 1231-1 du Code civil.

La jurisprudence distingue classiquement deux catégories d’obligation de sécurité :

L’obligation de sécurité de résultat, lorsque le débiteur s’engage à garantir l’absence de dommage.

Dans cette hypothèse, la responsabilité est de nature quasi objective : la seule survenance du dommage suffit à caractériser l’inexécution contractuelle, sauf force majeure ou faute exclusive de la victime.

Ce régime est notamment retenu en matière de transport de personnes ou d’exploitation de remontées mécaniques.

L’obligation de sécurité de moyens, lorsque le débiteur s’engage seulement à mettre en œuvre toutes les diligences normales afin de prévenir la réalisation du risque.

Dans ce cas, la mise en œuvre de la responsabilité suppose que la victime rapporte la preuve d’une faute imputable au débiteur,  généralement caractérisée par un manquement aux règles de prudence, de surveillance, d’entretien ou d’organisation.

La jurisprudence retient une obligation de sécurité de moyens lorsque la victime adopte un comportement actif et que le risque est en partie lié à ses propres gestes ou déplacements.

3) Quels étaient les arguments de la victime ?

La victime a soutenu avoir chuté en raison du caractère particulièrement glissant du sol de la discothèque le soir de l’accident.

Elle a également précisé avoir déjà constaté, lors de précédentes visites, que le sol était fréquemment mouillé à cet endroit, le rendant ainsi dangereux.

Afin d’étayer son argumentation, elle a versé aux débats plusieurs attestations sur l’honneur émanant de membres du groupe d’amis avec qui elle se trouvait au moment des faits.

Ces témoignages concordants ont confirmé qu’elle avait effectivement chuté à l’intérieur de la discothèque en raison du sol glissant.

Plusieurs témoins ont par ailleurs indiqué avoir eux-mêmes failli chuter au cours de la même soirée.

Sur la base de ces témoignages, la victime faisait valoir que le caractère anormalement glissant du sol excédait les risques ordinaires auxquels un client peut s’attendre dans un établissement de ce type et révélait un défaut d’entretien et de nettoyage du sol.

Elle en déduisait l’existence d’un manquement de l’exploitant à son obligation contractuelle de sécurité, à l’origine du dommage subi.

4) Quels étaient les arguments de l’assureur ?

L’assureur de la discothèque a contesté l’existence de tout manquement de son assurée à son obligation de sécurité.

En premier lieu, la compagnie d’assurance a mis en avant les liens d’amitié existant entre la victime et les personnes ayant témoigné en sa faveur, afin d’en déduire un manque d’impartialité des témoignages et leur dénuer un quelconque caractère probant.

En deuxième lieu, l’assureur a soutenu que la jeune femme avait reconnu s’être déjà rendue dans la discothèque et avoir constaté, lors de précédentes visites, que le sol était glissant. Il en déduisait que celle-ci ne pouvait ignorer le risque et qu’elle aurait dû adapter son comportement en conséquence.

L’assureur faisait ainsi valoir que la victime avait fait preuve d’imprudence en ne prenant pas les précautions nécessaires pour éviter une chute.

Enfin, la compagnie d’assurance a invoqué la tenue vestimentaire de la victime ainsi que sa consommation supposée d’alcool comme étant susceptibles d’avoir contribué à la réalisation du dommage.

Par ces différents arguments, l’assureur entendait démontrer l’existence d’une faute d’imprudence de la victime de nature à réduire voire à exclure son droit à indemnisation.

5) Quelle a été la décision rendue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ?

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille, lequel avait manifestement suivi l’argumentation développée par la compagnie d’assurance.

Elle rappelle, tout d’abord, que l’exploitant d’une discothèque est tenu, à l’égard de sa clientèle, d’une obligation contractuelle de sécurité en vertu de laquelle il doit observer les mesures de prudence et de diligence qu’exigent l’organisation et le fonctionnement de son établissement :

« l’exploitant d’une discothèque est tenu, à l’égard de sa clientèle, d’une obligation contractuelle de sécurité en vertu de laquelle il doit observer les mesures de prudence et de diligence qu’exigent l’organisation et le fonctionnement de son établissement ».

La cour précise que, s’agissant du risque de chute des clients, compte tenu du rôle actif de ces derniers dans leurs déplacements ou leur activité de danse, cette obligation de sécurité constitue une obligation de moyens :

« Concernant le risque de chute de ses clients, compte tenu du rôle actif des clients dans leur action de danse ou dans leur déplacement, cette obligation de sécurité constitue une obligation de moyens »

Il appartenait donc à la victime de rapporter la preuve d’une faute commise par l’exploitant de la discothèque.

À cet égard, la Cour d’appel a accueilli les arguments développés par la victime et rejeté ceux de l’assureur.

Les juges d’appel ont considéré que la faute était caractérisée par le caractère anormalement glissant du sol. Ils ont estimé que les témoignages versés aux débats, bien qu’émanant de personnes entretenant des liens d’amitié avec la victime, permettaient d’établir, par des termes précis et concordants, que celle-ci avait effectivement chuté à l’intérieur de la discothèque et que le sol présentait un caractère anormalement glissant le soir des faits.

La cour en a déduit que ce caractère anormalement glissant révélait un défaut d’entretien et de nettoyage du sol d’un établissement recevant du public et permettait ainsi de caractériser un manquement de la discothèque à son obligation contractuelle de sécurité.

Enfin, la cour d’appel a estimé que la compagnie d’assurance ne rapportait pas la preuve d’une faute d’imprudence imputable à la victime. Elle a jugé que ni un défaut de précaution lors du déplacement de cette dernière, ni sa tenue vestimentaire, ni une éventuelle alcoolisation n’étaient établis comme étant à l’origine du dommage.

La décision commentée procède d’une application rigoureuse et mesurée de l’obligation contractuelle de sécurité et participe utilement à la protection des victimes, ce qui en fait une solution pleinement satisfaisante.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.