Accident de la route : Indemnisation des préjudices non inclus dans la transaction initiale (Cass. Civ. 2ème 07 novembre 2024)

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Aux termes d’un arrêt en date du 07 novembre 2024 et publié au Bulletin (lien ici), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la portée d’une transaction conclue entre une victime d’accident de la circulation et un assureur, et notamment sur la possibilité d’indemniser ultérieurement des postes de préjudice qui n’y étaient pas inclus.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 23 août 2003, un jeune homme âgé de 17 ans a été victime d’un accident de la route.

Une expertise médicale a déterminé que la consolidation de son état de santé pouvait être fixée au 13 avril 2007.

La victime a bénéficié de l’indemnisation de plusieurs postes de préjudice par une transaction conclue le 06 décembre 2007 avec la compagnie d’assurance chargée de l’indemniser.

A partir de l’année 2012, la victime a constaté une aggravation de son état de santé et de sa situation socio-professionnelle.

La victime a donc assigné la compagnie d’assurance qui avait l’avait initialement indemnisée, aux fins d’obtenir une indemnisation complémentaire concernant les préjudices issus du dommage initial et du dommage aggravé.

2) Qu’est-ce qu’une aggravation du préjudice ?

L’expert qui évalue l’état de santé de la victime, qu’il intervienne dans un cadre amiable ou qu’il ait été désigné par une juridiction, doit déterminer la date de consolidation de l’état de santé de la victime.

La consolidation correspond à la date à laquelle l’état de santé de la victime n’est plus susceptible ni d’amélioration, ni d’aggravation ; son état est alors considéré comme stabilisé.

Toutefois, il arrive qu’en suite d’un accident de la circulation, des années plus tard, une victime présente de nouveaux symptômes, de nouvelles gênes ou de nouvelles limitations qui caractérisent alors une aggravation de son état de santé.

L’article L 211-19 du Code des assurances prévoit expressément que la victime peut demander la réparation de l’aggravation du dommage qu’elle a subi à l’assureur qui a versé l’indemnisation initiale.

3) Quels étaient les enjeux de cette affaire ?

A compter de l’année 2012, dans la mesure où l’état de santé de la victime s’est aggravé, il a été possible de déterminer l’existence de plusieurs postes de préjudice postérieurs à cette aggravation mais en lien direct et certain avec l’accident corporel initial survenu en 2003.

La question de l’indemnisation des préjudices liés à l’aggravation du dommage initial ne pose bien évidemment aucune difficulté.

En revanche, dans le cadre de cette procédure, il est apparu qu’en 2007, tous les postes de préjudice n’avaient pas été indemnisés par la compagnie d’assurance et notamment l’incidence professionnelle, les pertes de gains professionnels actuels et les pertes de gains professionnels futurs de la victime.

Or, un procès-verbal transactionnel a bien été régularisé entre l’assureur et la victime en 2007.

La question se posait donc de savoir si l’indemnisation initiale pouvait être « complétée » dans le cadre de la procédure liée à l’aggravation du préjudice initial.

4) Qu’est-ce qu’un procès-verbal transactionnel ?

La Loi dite Badinter du 05 juillet 1985 qui prévoit le régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation et le Code des assurances imposent à la compagnie d’assurance chargée d’indemniser la victime de lui présenter une offre définitive d’indemnisation dans les 5 mois suivant sa connaissance de la consolidation de l’état de santé de la victime.

Si l’assureur a, de son côté, l’obligation de présenter une offre d’indemnisation, la victime n’a bien évidemment aucune obligation de l’accepter.

La victime peut refuser de signer le procès-verbal de transaction qui lui est soumis et demander à un Juge de fixer le montant des dommages et intérêts qui doivent lui revenir.

La victime peut également accepter de signer le procès-verbal de transaction, comme ce fut le cas en l’espèce pour la victime qui a accepté, le 06 décembre 2007, l’indemnisation définitive qui lui était proposée par l’assureur.

La signature d’un procès-verbal d’indemnisation, qui caractérise une transaction entre les parties, a la même valeur qu’un jugement.

L’article 2052 du Code civil, jusqu’en 2016, attachait à la transaction « l’autorité de la chose jugée en dernier ressort », soit l’équivalent de la valeur d’un jugement définitif.

Depuis la Loi du 18 novembre 2016, il est prévu que la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet.

Cela signifie qu’une fois qu’une transaction est signée, la victime ne peut plus y renoncer ; s’agissant d’une victime d’accident de la route, la dénonciation de la transaction est possible dans un délai de 15 jours mais passé ce délai, il n’est plus possible de contester les montants alloués et prévus dans le procès-verbal transactionnel.

La signature d’un procès-verbal transactionnel définitif fait obstacle à la remise en cause ultérieure, notamment devant une juridiction, des montants alloués.

5) Quelle est la question qui était soulevée devant la Cour de cassation ?

Dès lors qu’il a été constaté, dans le cadre de la procédure d’aggravation, que la victime n’avait pas, en 2007, bénéficié de l’indemnisation de tous les postes de préjudice découlant de l’accident, la question s’est posée de savoir si elle pouvait, des années plus tard, solliciter un complément d’indemnisation au titre de ses préjudices initiaux non indemnisés.

Il s’avère qu’en l’espère, dans le cadre de la transaction conclue en 2007, aucune indemnisation n’avait été prévue au titre de la perte de gains professionnels futurs de la victime.

Ce poste de préjudice correspond à la perte de gains professionnels postérieurs à la date de consolidation et dont il est établi qu’elle est en rapport direct et certain avec l’accident.

La victime avait accepté de régulariser une transaction en 2007 dans laquelle aucune indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs n’était prévue.

Or, il est apparu qu’elle a finalement bien souffert d’une telle perte.

La Cour d’appel d’AGEN, dans un arrêt du 14 décembre 2022, a limité l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs de la victime à compter de 2012, soit à compter de la date de l’aggravation.

Les Juges du fond n’ont donc pas entendu indemniser la perte de gains professionnels de la victime entre la transaction qu’elle a signée (2007) et l’aggravation de son état de santé (2012).

Cette dernière a donc formé un pourvoi en cassation, estimant que sa perte de gains professionnels devait être indemnisée dès l’année 2007 et non à compter de l’aggravation de son état de santé.

La question qui se posait était donc celle de savoir si la transaction conclue en 2007 faisait obstacle à l’indemnisation d’un poste de préjudice qui n’y était pas inclus à l’époque mais qui a existé de façon certaine.

6) Quelle a été la décision rendue par la Cour de cassation ?

La Haute juridiction a évidemment rendu sa décision au visa principe de réparation intégrale des préjudices, sans perte ni profit, qui implique que la victime d’un fait dommageable puisse être indemnisée de tout son préjudice mais uniquement de son préjudice.

La Cour de cassation a considéré que le principe de l’autorité de la chose jugée attachée à une transaction ne fait pas obstacle à la demande d’indemnisation des préjudices initiaux qui n’y sont pas inclus.

La Cour de cassation a donc retenu que la Cour d’appel ne pouvait pas limiter l’indemnisation des pertes de gains professionnels à compter de l’aggravation de l’état de santé de la victime.

Il a donc été permis à cette victime de voir ses pertes de gains professionnels indemnisées entre la date de la consolidation de son état de santé, fixée initialement en 2007, et l’aggravation de celui-ci, survenue dans le courant de l’année 2012.

7) Que faut-il retenir de cette décision ?

Lorsqu’un procès-verbal transactionnel est signé entre une victime et une compagnie d’assurance, il n’est plus possible de contester les montants alloués, passé le délai de renonciation de 15 jours prévu par la Loi

En revanche, si des postes de préjudice ont été oubliés, la victime pourra solliciter une indemnisation complémentaire pour ces postes non inclus dans la transaction.

L’autorité de la chose jugée et l’impossibilité de contester en justice une transaction devenue définitive ne concerne en effet que le montant des sommes allouées.

Si aucune somme n’a été allouée en raison du fait qu’un poste de préjudice a été oublié, la victime pourra toujours saisir le Tribunal pour obtenir une indemnisation à ce titre.

Et bien évidemment, en cas d’aggravation de son préjudice, la victime a également toujours la possibilité de solliciter l’indemnisation des préjudices consécutifs à cette aggravation.

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Nous ne pouvons qu’approuver pleinement cette décision de la Cour de cassation qui, tout en rappelant le caractère définitif de la transaction après l’expiration du délai de rétractation de 15 jours, ouvre la possibilité pour la victime de solliciter l’indemnisation de postes de préjudice qui n’auraient pas été indemnisés.

Cette solution, protectrice des victimes, vient utilement limiter les pratiques parfois abusives des assureurs et souligne l’importance pour toute victime d’être accompagnée par un avocat intervenant en réparation du dommage corporel, lors de la conclusion d’une transaction.

 

 

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