Application du principe de la réparation intégrale aux pertes de gains professionnels futurs (Cass. Civ. 2ème 24 mai 2018)

Aux termes d’un arrêt en date du 24 mai 2018 (lien ici) relatif à l’indemnisation d’un préjudice professionnel, la Cour de cassation rappelle le principe de la réparation intégrale des préjudices subis par la victime d’un évènement traumatique (accident de la route, accident sportif, accident de la vie courante, agression, erreur médicale, etc.).

Cette décision s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence constante aux termes de laquelle «  le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (Arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation du 28 octobre 1954).

Le principe de réparation intégrale des préjudices implique donc que l’indemnisation des préjudices d’une victime, n’entraîne pour elle, ni enrichissement, ni appauvrissement.

Dans l’hypothèse où, suite à l’évènement traumatique, la victime ne pourra plus poursuivre son activité professionnelle antérieure, celle-ci est fondée à obtenir la réparation de ses pertes de gains professionnels futurs, c’est-à-dire la perte de revenus consécutive à son incapacité de travailler, calculée en fonction de ses revenus antérieurs.

Par ailleurs, si la victime est en mesure de retravailler, mais à un niveau professionnel inférieur ou au prix de difficultés particulières ou majorées, elle peut, en outre, prétendre à être indemnisée de l’incidence professionnelle à savoir, selon les termes de la nomenclature DINTILHAC, à la réparation des « incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à la nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le fait dommageable au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap ».

Mais les juges peuvent-ils limiter l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs à la période de temps nécessaire à la mise en oeuvre d’une reconversion professionnelle lorsque celle-ci est envisageable ?

C’est la question qui a été posée à la Cour de cassation dans l’espèce dont il s’agit.

Aux termes de la décision rendue le 24 mai 2018, la Cour de cassation retient qu’il n’y a pas lieu de limiter à une année de revenus, par des motifs tirés d’une possible reconversion professionnelle de la victime, l’indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs, alors que cette victime est devenue, en conséquence de l’accident, inapte à poursuivre son activité professionnelle au même niveau de responsabilité, ce dont il résulte l’existence d’une perte de gains professionnels futurs permanente.

En l’espèce, la victime, qui se rendait à pied à son travail d’infirmière au sein d’une grande entreprise, a été renversée par une automobile. Suite à cet accident de la circulation, elle était dans l’incapacité de poursuivre sa profession au même niveau de responsabilité et a fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude. Suite à l’expertise médicale, le médecin expert judiciaire a néanmoins conclu à la possibilité d’une reconversion professionnelle à « un poste d’infirmière comportant moins de responsabilité ».

Parmi les postes de préjudice dont la victime sollicitait l’indemnisation, figurait une demande au titre de l’incidence professionnelle et une demande au titre de la perte de gains professionnels futurs.

La Cour d’appel de LYON a retenu l’existence de ces deux postes de préjudice tout en limitant à une année de revenus l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs considérant que la victime pourrait retravailler à l’issue d’une possible reconversion professionnelle.

La victime s’est alors pourvue en cassation, reprochant à la Cour d’appel d’avoir limité l’indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs au temps nécessaire, selon la juridiction, à la réorganisation de son orientation professionnelle, alors pourtant qu’elle était définitivement inapte à poursuivre son emploi antérieur d’infirmière dans les mêmes conditions de responsabilité.

Il s’agissait donc pour la Cour de cassation de se prononcer sur le point de savoir si la perte de gains professionnels futurs pouvait n’être que temporaire, le temps pour la victime de se réorienter professionnellement, dès lors qu’une reconversion professionnelle était estimée possible par le médecin expert judiciaire.

La Cour de cassation a fait droit au pourvoi de la victime et cassé l’arrêt de la Cour d’appel de LYON en estimant que cette juridiction avait violé la loi et le principe de réparation intégrale « en limitant à une année de revenus, par des motifs inopérants tirés d’une possible reconversion professionnelle de la victime, l’indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs, alors qu’elle avait constaté que Mme X… était devenue, en conséquence de l’accident, inapte à poursuivre son activité professionnelle au même niveau de responsabilité, ce dont il résultait l’existence d’une perte de gains professionnels futurs permanente ».

Les pertes de gains professionnels futurs, en cas d’inaptitude définitive de la victime à reprendre son activité professionnelle antérieure, ne sauraient donc être indemnisées temporairement et seulement pour la durée estimée nécessaire à la mise en oeuvre d’une possible reconversion professionnelle.

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