Accident de la route : Indemnisation des pertes de revenus en cas d’impossibilité d’exercer son métier (Cass. Civ. 2ème 19 septembre 2024)

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Aux termes d’un arrêt inédit en date du 19 septembre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (lien ici) a apporté des précisions sur le principe de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs d’une victime d’accident de la route, lorsque cette dernière ne peut plus exercer la profession qui était la sienne avant l’accident.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 13 juin 2011, un homme a été victime d’un grave accident de la route.

Afin de déterminer les séquelles de cet accident corporel et les postes de préjudices indemnisables, deux expertises médicales amiables ont été organisées entre la victime et la compagnie d’assurance chargée de l’indemniser.

Une expertise judiciaire a ensuite été ordonnée par le Juge des référés.

Aux termes de cette dernière expertise, l’expert judiciaire a notamment retenu que la victime, qui exerçait la profession de maçon avant la survenance de l’accident de la circulation, était dans l’incapacité de reprendre son métier après la consolidation de son état de santé, en raison des séquelles imputables à cet accident.

En effet, le 28 juillet 2014, la victime a été contrainte d’abandonner définitivement son activité professionnelle d’artisan maçon.

La victime, son épouse et la société familiale ont saisi le Tribunal de grande instance (ainsi dénommé à l’époque et devenu Tribunal judiciaire depuis) pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

2) Qu’est-ce que le poste de préjudice « perte de gains professionnels futurs » ?

La perte de gains professionnels futurs résulte de la perte de l’emploi ou du changement d’emploi de la victime.

Si, après la consolidation de son état de santé, la victime n’est plus en mesure d’exercer son activité professionnelle antérieure et que cette situation entraîne une perte de revenus en raison de la perte de son emploi ou d’un changement d’emploi entraînant une diminution de revenus, alors cette perte de gains professionnels futurs doit être indemnisée.

Contrairement à la perte de gains professionnels actuels, qui a vocation à indemniser la perte subie entre le jour de l’accident et le jour de la consolidation de l’état de santé de la victime, la perte de gains professionnels futurs a vocation à indemniser la perte subie à partir du jour de cette consolidation.

Pour déterminer la perte de gains professionnels, il faut évaluer le salaire net antérieur à l’accident et le comparer au nouveau salaire perçu ou à toute autre forme de revenu (par exemple une pension d’invalidité ou bien une rente accident du travail).

3) Quels étaient les enjeux de cette affaire ?

Dans cette affaire, l’Expert a (notamment) retenu que la victime était, du fait des séquelles imputables à l’accident de la route, dans l’impossibilité de reprendre son activité professionnelle antérieure d’artisan maçon.

En l’espèce, après la consolidation de son état de santé, la victime avait été radiée du répertoire des métiers et avait reçu la qualité de travailleur handicapé.

Même si, d’après l’Expert, son état de santé lui permettait d’occuper un autre emploi que celui d’artisan maçon, la victime n’avait ni recherché un autre emploi compatible avec son état séquellaire, ni effectué de reclassement professionnel.

En tout état de cause, la victime estimait que sa perte de gains professionnels futurs devait être indemnisée sur la base de son ancien revenu.

La compagnie d’assurance estimait, pour sa part, que sa perte de gains professionnels futurs ne pouvait pas être indemnisée puisque la victime avait la possibilité de retrouver un emploi mais qu’elle s’était abstenue de rechercher une autre activité.

4) Quelle a été la décision de la Cour d’appel ?

La Cour d’appel d’AGEN, par un arrêt du 07 septembre 2020, a rejeté la demande formulée par la victime au titre de sa perte de gains professionnels futurs.

L’arrêt a retenu que la victime n’avait pas justifié d’un reclassement professionnel et qu’elle n’avait pas recherché une autre activité après avoir été radiée du répertoire des métiers et avoir reçu la qualité de travailleur handicapé alors qu’elle était apte, au moins partiellement, à exercer une autre activité professionnelle que celle d’entrepreneur en maçonnerie.

Si l’on suit le raisonnement des Juges du fond, le fait, pour la victime, de ne pas faire de démarches pour retrouver un nouvel emploi compatible avec son état de santé la privait de la possibilité de demander l’indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs.

Ainsi, selon la Cour d’appel, la victime qui n’est pas en mesure de justifier d’un reclassement professionnel ou d’une recherche d’activité est privée de la possibilité de demander l’indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs.

5) Quelle a été la décision rendue par la Cour de cassation ?

La Cour de cassation a censuré la décision rendue par la Cour d’appel d’AGEN au visa du principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime.

La Haute juridiction a censuré la décision de la Cour d’appel, estimant que l’absence de reconversion professionnelle et de recherche d’emploi étaient des motifs inopérants.

La Cour de cassation a estimé qu’à partir du moment où la Cour d’appel avait constaté que l’accident n’avait pas permis à la victime de reprendre son activité d’entrepreneur en maçonnerie, il convenait de réparer intégralement son préjudice, et notamment sa perte de grains professionnels futurs.

Certes, il s’agit d’un arrêt d’espèce, mais sa solution est très encourageante.

A suivre la position de la Cour de cassation dans cette décision, on peut en déduire que la victime n’a pas à justifier d’un reclassement professionnel ou d’une recherche d’une autre activité pour être indemnisée de sa perte totale de gains professionnels futurs.

Il s’agit là d’une position cohérente puisqu’en droit français, en vertu du principe de non mitigation du préjudice, la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable.

Nous ne pouvons que saluer cette décision qui s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence attentive à assurer une protection accrue des victimes d’évènements traumatiques en tous genres (accident de la route, agression, accident de sport, accident de la vie, erreur médicale)..

 

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.