Accident de la route et indemnisation des victimes en cas de relaxe par le Juge pénal (Cass. Ass. Plén. 14 avril 2023)

Indemnisation des préjudices ayants droit accident mortel de la route

Aux termes d’un arrêt rendu le 14 avril 2023 et publié au bulletin (lien ici), l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation apporte des précisions sur la demande indemnitaire des ayants droit d’une personne décédée dans un accident de la route lorsque l’auteur de l’accident est relaxé par le Tribunal correctionnel des faits d’homicide involontaires pour lesquels il était poursuivi.

1) Quels sont les faits et le parcours procédural de cette affaire ?

Le 19 novembre 2010, un sapeur-pompier conduisant son véhicule de secours dans le cadre d’une intervention a été percuté par un autre automobiliste et est décédé des suites de cet accident de la route.

Le conducteur responsable de cet accident corporel a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour avoir commis, étant conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, un homicide involontaire.

Les proches de la victime (ses ayants droit) se sont constitués partie civile et ont demandé l’indemnisation de leurs préjudices.

Le Tribunal correctionnel a jugé le conducteur coupable d’homicide involontaire et a accordé aux parties civiles une indemnisation.

Le conducteur, mécontent de cette décision, a décidé d’interjeter appel.

Considérant que les faits d’homicide involontaire n’étaient pas caractérisés, la Cour d’appel a relaxé le prévenu et a rejeté la demande d’indemnisation des ayants droit du sapeur-pompier en considération du fait que ces derniers n’avaient pas invoqué les dispositions de l’article 470-1 du Code de procédure pénale.

Ces ayants droit n’ayant finalement pas obtenu de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices ont décidé d’engager, par la suite, une procédure civile afin d’obtenir leur indemnisation par l’assureur de l’automobiliste.

Le juge civil a déclaré leur action irrecevable en estimant qu’ils auraient dû formuler leur demande de réparation dans le cadre de la procédure pénale.

La Cour d’appel saisie consécutivement à cette décision l’a confirmée.

Les ayants droit de la victime ont donc décidé de se pourvoir en cassation.

Par un arrêt du 06 juin 2019, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel estimant que le fait de ne pas demander au Juge pénal des dommages et intérêts, dans l’hypothèse d’une éventuelle relaxe du prévenu, ne privait pas la partie civile du droit de saisir ultérieurement la juridiction civile afin d’obtenir l’indemnisation de ses postes de préjudices.

L’affaire a donc été renvoyée devant une autre Cour d’appel pour être rejugée.

La Cour d’appel de renvoi (BORDEAUX) a résisté et n’a pas suivi la décision de la Cour de cassation.

Aux termes d’un arrêt rendu le 26 janvier 2021, la Cour d’appel de BORDEAUX a déclaré la demande d’indemnisation des ayants droit irrecevable en invoquant notamment le principe de la concentration des moyens et celui de l’autorité de la chose jugée.

Les ayants droit de la victime ont donc à nouveau décidé de se pourvoir en cassation.

La résistance de la Cour d’appel de BORDEAUX a amené la Haute juridiction à examiner cette affaire par sa formation de jugement la plus solennelle : l’Assemblée Plénière ; formation au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées.

2) Quelle est la différence entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile ?

La responsabilité pénale d’une personne est engagée lorsque cette dernière a adopté un comportement réprimé et a commis une infraction prévue par un texte.

Dans le cas d’un homicide involontaire, survenu en l’espèce dans le cadre d’un accident mortel de la route, une personne peut être condamnée sans avoir cherché à tuer quelqu’un dès lors qu’elle a commis une faute, une négligence, une maladresse ou un manquement à une règle de sécurité.

Il peut arriver qu’un accident de la circulation intervienne sans pour autant qu’une faute pénale caractérisée puisse être retenue à l’encontre du conducteur.

Dans cette hypothèse, la responsabilité pénale de ce conducteur ne sera pas engagée.

Aucune condamnation pénale ne sera prononcée contre lui et il bénéficiera d’une décision de relaxe.

La responsabilité civile du conducteur relaxé peut toutefois être recherchée puisque les critères pour engager la responsabilité civile d’une personne ne sont pas les mêmes que ceux permettant d’engager sa responsabilité pénale.

Une faute civile peut être retenue à l’encontre d’un conducteur alors même que sa faute pénale a été exclue.

L’enjeu est souvent de taille car la reconnaissance d’une faute civile peut permettre l’indemnisation des personnes ayant subi un dommage, qu’elle soient victimes directes ou indirectes.

La question se pose donc de savoir de quelle manière on peut engager la responsabilité civile d’un conducteur qui fait l’objet d’une relaxe.

3) Comment obtenir une indemnisation lorsque le conducteur est relaxé ?

Si le conducteur poursuivi devant le Juge pénal (le plus souvent le Tribunal correctionnel) est reconnu coupable, alors la demande de dommages et intérêts présentée par les parties civiles ne pose aucune difficulté puisque dans la même décision, le Tribunal peut à la fois statuer sur l’action publique (en infligeant une peine à la personne poursuivie) et sur l’action civile (en accordant à la victime ou à ses ayants droit des dommages et intérêts).

La question est plus délicate lorsque la personne poursuivie est relaxée.

En cas de relaxe, le Tribunal pénal ne peut, par principe, accorder à la victime des dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.

Il existe cependant une exception à ce principe qui est prévue par l’article 470-1 du Code de procédure pénale, lequel dispose que :

« Le tribunal saisi, à l’initiative du ministère public ou sur renvoi d’une juridiction d’instruction, de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du code pénal, et qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ».

Ainsi, si le Tribunal correctionnel décide de relaxer la personne poursuivie, il peut rester compétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts formulée par les victimes.

Il convient de préciser que cette faculté n’existe qu’en présence d’une infraction non intentionnelle, dont les accidents de la circulation font partie (les conducteurs sont poursuivis en règle générale pour des faits de blessures involontaires ou d’homicide involontaire).

Surtout, cette faculté n’existe que si la personne lésée se prévaut expressément des dispositions de l’article 470-1 du Code de procédure pénale.

Ainsi, à l’audience, la personne qui entend se constituer partie civile doit demander, de façon classique, des dommages et intérêts si le prévenu est condamné, mais pour obtenir l’indemnisation de son préjudice en cas de relaxe, elle doit également présenter au Tribunal une demande subsidiaire sur le fondement des dispositions de l’article 470-1 du Code de procédure pénale.

Dans l’affaire qui nous occupe, les ayants droit du sapeur-pompier n’avaient pas formulé de demande indemnitaire sur le fondement de cet article.

Ils n’ont donc pas obtenu de dommages et intérêts et ont ensuite décidé d’engager une procédure devant le Juge civil pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

4) Quelle est la position de la Cour d’appel dans cette affaire ?

La Cour d’appel de BORDEAUX, saisie sur renvoi après cassation, a jugé par un arrêt du 26 janvier 2021 que les demandes des ayants droit de la victime directe de l’accident étaient irrecevables.

La Cour a estimé que les ayants droit avaient déjà présenté les mêmes demandes d’indemnisation et qu’elles en avaient été déboutées.

Les Juges du fond, au nom des principes de concentration des moyens et de l’autorité de la chose jugée, ont retenu que cette même demande ne pouvait pas être portée devant le Juge civil après avoir été formulée devant le Juge pénal.

Les principes dont se prévalait la Cour d’appel sont les suivants :

Selon le principe de la concentration des moyens, il incombe au demandeur à l’action de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci (Cass. Ass. Plé. 07 juillet 2006).

Selon le principe de l’autorité de la chose jugée (prévu à l’article 1355 du Code civil (anciennement 1351), il est impossible de présenter les mêmes demandes, contre les mêmes parties, sur le même fondement, devant plusieurs Juges différents. L’autorité de la chose jugée peut être définie comme une force exceptionnelle conférée par la loi aux décisions juridictionnelles qui, une fois prononcées, bénéficient du principe de l’immutabilité interdisant de remettre en cause ce qui a été définitivement jugé.

La Cour d’appel de BORDEAUX a considéré que les ayants droit du sapeur-pompier avaient déjà sollicité des dommages et intérêts devant le Juge pénal (demande qui avait finalement été rejetée) et qu’ils ne pouvaient pas ensuite présenter la même demande devant le Juge civil.

5) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : S’agissant d’une infraction non intentionnelle et dans l’hypothèse d’une relaxe du prévenu, le justiciable qui n’a pas demandé au Juge pénal de statuer sur la réparation de son préjudice conserve-t-il la possibilité de soumettre sa demande au Juge civil sans que ne lui soient opposés les principes de concentration des moyens et de l’autorité de la chose jugée ?

La Haute juridiction rappelle tout d’abord que lorsque la partie civile sollicite du Juge pénal qu’il se prononce selon les règles du droit civil, elle doit présenter l’ensemble des moyens qu’elle estime de nature à fonder ses demandes de sorte qu’elle ne peut saisir le Juge civil des mêmes demandes, fussent elles fondées sur d’autres moyens.

La Cour de cassation ajoute qu’en revanche, lorsque la partie civile n’a pas usé de la faculté qui lui est offerte par l’article 470-1 du Code de procédure pénale, elle ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes de réparation devant le Juge civil.

Dans cette affaire, les ayants droit du pompier décédé n’avaient pas usé de la faculté qui leur était offerte de présenter, sur le fondement de l’article 470-1 du Code de procédure pénale, des demandes indemnitaires en cas de relaxe.

Dès lors, les victimes indirectes avaient la possibilité de saisir le Juge civil de leurs demandes indemnitaires.

6) Que faut-il retenir de cet arrêt s’agissant de la juridiction compétente pour allouer des dommages et intérêts dans une affaire d’homicide ou de blessures involontaires ?

La compétence pour statuer sur les demandes de dommages et intérêts des victimes, dans une affaire d’homicide involontaire ou de blessures involontaires, peut être résumée de la façon suivante :

  • Si le Juge pénal condamne le prévenu, il peut allouer des dommages et intérêts aux parties civiles ;
  • Si le prévenu est relaxé par le Juge pénal, les victimes ont la faculté de demander au Juge pénal de rester compétent pour statuer sur la demande civile de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 470-1 du Code de procédure pénale ;
  • Si les victimes n’ont pas usé de cette faculté de demander au Juge pénal de statuer, en cas de relaxe, sur leurs demandes indemnitaires, elles peuvent alors par la suite engager une procédure civile pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

Il convient de saluer cette décision de la Cour de cassation qui garantit le droit effectif de toute victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Cependant, au regard de la complexité des règles et afin d’éviter tout errement procédural, nous ne pouvons que conseiller aux victimes souhaitant obtenir l’indemnisation de leurs préjudices de s’adjoindre le concours d’un avocat spécialisé en réparation du préjudice corporel.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.