Le préjudice d’établissement (Cass. 2ème Civ. 15 janvier 2015)

Le principe de la « réparation intégrale du préjudice » implique que le montant des dommages et intérêts qui est attribué à une victime est destiné à réparer le préjudice subi et uniquement le préjudice subi.

L’objectif est de « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime au détriment du responsable dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (Civ. 2, 28 octobre 1954, J.C.P. 1955, II, 8765).

Parmi les postes de préjudices pouvant faire l’objet d’une réparation, figure le préjudice d’établissement qui peut s’analyser en la perte de chance de réaliser un nouveau projet de vie familiale.

Le 15 janvier 2015, la Haute Juridiction est venue préciser les contours de la notion de préjudice d’établissement qu’elle a défini en l’espèce comme étant « la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap » (Cass. 2ème Civ. 15 janvier 2015, n° 13.27761).

La reconnaissance du préjudice d’établissement, indépendamment du préjudice d’agrément, du préjudice sexuel ou même du déficit fonctionnel permanent a été le fruit d’une longue et progressive évolution jurisprudentielle (Cass. Crim. 29 octobre 1991, n° 90-84619 ; Cass. Civ. 2ème, 06 janvier 1993, n° 91-15391 ; Cass. Civ. 2ème, 30 juin 2005, n° 03-19817 ; Civ. 2ème, 12 mai 2011, n° 10-17148 ; Cass. Civ. 2ème, 13 janvier 2012, n° 11-10224).

Il ressort de cette évolution jurisprudentielle qu’aujourd’hui, les conséquences et répercussions d’un handicap sur des projets familiaux (avoir une vie de couple, élever ses enfants, etc.) constituent un préjudice distinct et indemnisable.

Et à partir du moment où le préjudice d’établissement a acquis son autonomie, restait à la Haute Juridiction le soin de définir les situations dans lesquelles les victimes pouvaient ou non s’en prévaloir.

Et c’est précisément ce qu’a fait la Cour de cassation aux termes de l’arrêt du 15 janvier 2015  où elle a du se prononcer sur l’existence d’un préjudice d’établissement dans l’hypothèse où la victime avait déjà noué une union antérieure.

Les circonstances de fait ayant donné lieu à cette décision étaient les suivantes : Un homme marié et père de 3 enfants est devenu tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation. Suite à cet accident, cet homme a sollicité la réparation intégrale de ses préjudices dont le préjudice d’établissement puisqu’il s’est séparé de son épouse après ledit accident.

La Cour d’appel de Poitiers, aux termes d’un arrêt du 09 octobre 2013, a refusé la demande d’indemnisation fondée sur ce poste de préjudice estimant qu’il n’existait pas puisque, préalablement à l’accident, la victime avait fondé un foyer et qu’il a eu 3 enfants lesquels, selon l’expertise, continuent à lui rendre visite régulièrement en dépit de la rupture du couple parental.

Le raisonnement de la Cour d’appel conférait au préjudice d’établissement, un champ d’application très limité puisque son interprétation conduisait à écarter l’indemnisation de ce préjudice pour les victimes qui avaient fondé un foyer avant leur accident ou celles qui, postérieurement à celui-ci, n’avaient pas perdu tous liens avec leurs conjoints et enfants…

Cette décision, d’un esprit très restrictif, entrait donc en contradiction tant avec la tendance actuelle favorable à l’indemnisation exhaustive des préjudices subis par les victimes qu’avec l’esprit de la nomenclature DINTILHAC qui est aujourd’hui incontournable en matière d’indemnisation des préjudices.

Il apparaît pourtant difficilement contestable qu’en l’espèce, la victime ait du, en raison de sa tétraplégie, subir des renonciations importantes sur le plan familial et que ce handicap compromet gravement ses chances de construire un nouveau foyer.

Il convient donc d’accueillir favorablement l’arrêt rendu par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation le 15 janvier 2015 qui a tranché en faveur de la victime prenant en compte, par ailleurs, le fait qu’à l’heure actuelle, personne ne peut affirmer qu’on ne peut (ou doit) fonder qu’un seul foyer au cours de sa vie.

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